Genre : Drame, policier
Durée : 115
Acteurs : Arieh Worthalter, Arthur Harari, Jeremy Lewin, Christian Mazzuchini, Stéphan Guérin-Tillié, Nicolas Briançon, Jerzy Radziwilowicz, Laetitia Masson...
Synopsis :
En novembre 1975 débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.
La critique de Julien
Son prénom ne dira peut-être rien à toute une génération née après les années 70 (au contraire de son nom de famille). Et pourtant, le cas Pierre Goldman a défrayé la chronique durant toutes ces années, lequel fut militant, gangster, cofondateur d’un club de jazz et même journaliste, avant son assassinat en septembre 1979, lequel est, à ce jour, toujours non élucidé. Quatre ans après son dernier métrage "Fête de Famille" (2019), Cédric Kahn revient justement sur l’affaire Goldman, dont le cambriolage de la pharmacie Delaunay du boulevard Richard-Lenoir à Paris, à la date du 19 décembre 1969, où deux pharmaciennes [1] ont été tuées de plusieurs coups de pistolet, alors qu’un client fut grièvement blessé, au même titre qu’un gendarme [2]. Condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité, Goldman n’a pourtant jamais cessé de clamer son innocence vis-à-vis de ces meurtres, soutenu alors par la communauté juive et ses amis antillais (lesquels avaient affirmé que Goldman était avec eux au moment des faits). C’est alors en prison que Goldman a écrit en 1975 un livre plaidoyer ("Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France" ; coll. "Points/Série Actuels"), dénonçant notamment les failles de son procès, lequel, en novembre 1975, fut annulé par la Cour de cassation, renvoyant l’affaire devant la Cour d’Assises d’Amiens. Et c’est justement ce procès cacophonique que Cédric Kahn met ici en scène, lequel a vu Pierre Goldman être défendu par deux avocats pénalistes réputés [3], ayant étudié le dossier afin d’en "démontrer la fragilité des témoignages", le tout devant les yeux de son demi-frère - le chanteur Jean-Jacques Goldman - ou encore de son père, héros de la résistance juive polonaise et communiste de la première heure...
D’emblée, Cédric Kahn ne ment pas sur la marchandise, puisque son film, outre quelques plans en coulisses, est une véritable immersion suffocante dans un tribunal, en plein procès. Écrit par la cinéaste Nathalie Herzberg, "Le Procès Goldman" est ainsi le fruit d’un long travail de reconstitution de dialogues et de conversations tenues durant ce dernier, ainsi que le résultat d’un long dépouillement d’archives de presse de l’époque, de traces de plaidoiries conservées par les avocats, ou de lettres échangées. Bien que la veuve [4] de Pierre Goldman ait effectué une mise au point quant à l’utilisation fictive de son personnage dans le film, rétablissant également des vérités qui n’y sont pas dites, on ne peut reprocher au film de jouer manifestement cartes sur table, défendant, bec et ongles, l’innocence de Pierre Goldman vis-à-vis des événements qui se sont déroulés à la pharmacie à la date du 19 décembre 1969, bien qu’il fût par contre condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour les trois autres vols à main armée pour lesquels il était jugé, tout en reconnaissant les faits. Mais il est surtout question ici d’un bras de fer pour faire entendre la vérité, et rétablir le droit.
Rassurez-vous, le cinéaste (re)contextualise ici l’affaire, notamment lors d’un prologue, mais également durant les premières minutes dudit procès, où le Président (Stéphan Guérin-Tillié) résume la vie de cet homme gauchiste complexe, "exceptionnellement torturé" et psychologiquement fragile, lequel n’aurait ainsi jamais ôté la vie, ce qui est, en effet, contraire à ses valeurs, ainsi qu’à la mémoire de sa famille, de la Shoah. Cédric Kahn a dès lors fait choix ici de laisser parler les principaux intéressés et les réactions à huis clos, dont des silences éloquents, des applaudissements, tandis que le format 4/3 offre à l’image un format d’époque, filmé simultanément avec trois caméras, tandis que le tribunal a été reconstruit sur un ancien terrain de tennis surmonté d’une verrière, permettant ainsi un éclairage des plus naturels, et même parfois aveuglant, au même titre finalement que certaines opinions et idéologies surplombant ledit procès, et bafouant ainsi la vérité.
Porté par l’acteur franco-belge Arieh Worthalter qui en impose, son personnage est s’avère fascinant d’ambiguïtés, doté d’une intelligence froide, tout en étant insaisissable, radical et provocateur. Sa condition, son histoire, son vécu et sa personnalité le poussent alors à mettre l’accent sur le racisme et l’antisémitisme qui régnaient au sein des forces de l’ordre à l’époque, remettant notamment en doute le processus d’identification de la Police quant aux témoignages fragiles des témoins, alors que seules des preuves (oculaires) et des témoignages douteux étaient retenus contre lui, l’incombant ainsi du double assassinat. Pourtant, la Justice ne peut faire un travail correct sur la base de preuves incertaines et sans valeur scientifique.
Par sa figure combative, extrémiste, et qui n’avait pas la langue dans sa poche (contre l’avis de ses avocats, plus centristes), le film questionne aussi l’institution (bourgeoise) démocratique de la Justice, ainsi que le droit à la présomption d’innocence, Goldman devant l’un de ses symboles, ainsi que de tous les Juifs persécutés, tout comme une icône de la gauche intellectuelle. L’accusé n’aura dès lors ici de cesse d’hurler son innocence, au cours d’un procès chaotique et houleux, où aussi bien les jurés, les avocats, les témoins à la barre et le public (répétant le slogan "Police raciste, Justice complice !"), prendront librement la parole. On ressort dès lors rincés et à bout de souffle de ces prises de paroles intempestives, au travers desquelles on a l’impression que le bien et le mal s’affrontent constamment, sans demi-mesure, suivant la parole des uns et des autres, mais aussi une dialectique pointue et vertigineuse, et pourtant très froide, et de surcroît fracturée entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite, ce qui résonne encore fortement de nos jours, si pas de plus en plus...