Genre : Romance, drame
Durée : 91’
Acteurs : Franz Rogowski, Ben Whishaw, Adèle Exarchopoulos, Théo Cholbi...
Synopsis :
Après avoir terminé son dernier film, le cinéaste Tomas commence fougueusement une relation amoureuse passionnée avec une jeune institutrice, Agathe. Pour Tomas, être avec une femme est une expérience inconnue et excitante qu’il est impatient d’explorer malgré son mariage à Martin. Mais lorsque Martin entame sa propre liaison, Tomas, changeant, recentre son attention sur son mari.
La critique de Julien
Réalisateur américain indépendant ouvertement homosexuel, Ira Sachs avait mis en scène en 2012 son histoire personnelle avec Bill Clegg, son compagnon écrivain et agent littéraire qui avait publié en 2010 ses mémoires sous le titre de "Portrait of an Addict as a Young Man", elles qui traitent de sa lutte contre la consommation de drogues. Alors que son précédent métrage "Frankie" avec Isabelle Huppert avait été sélectionné en Compétition officielle au Festival de Cannes 2019, le voici de retour avec "Passages", présenté quant à lui en première mondiale à Sundance, en janvier dernier, dans lequel un couple d’hommes est plongé dans une crise lorsque l’un d’eux tombe impulsivement amoureux d’une femme. Faux triangle amoureux, ce drame intimiste filmé dans le Paris contemporain questionne les complexités, les contradictions des relations amoureuses, ainsi que la cruauté du sexe et du désir...
Il est alors question de Tomas (Franz Rogowski), cinéaste allemand, et Martin (Ben Whishsaw), imprimeur anglais, lesquels forment un couple marié résidant à Paris. Un soir, Tomas tombera sous le charme d’une jeune institutrice, nommée Agathe (Adèle Exarchopoulos), ce qui débouchera sur une relation passionnée, une exploration qui échappera à Tomas, tout en désespérant Martin, bien au courant de celle-ci. Sauf que lorsque Martin entamera lui aussi une relation avec un écrivain (Erwan Kepoa Falé), cela le rendra jaloux, quitte à faire demi-tour, bien qu’il soit trop tard. Et si cette histoire entraînait ainsi des décisions auxquelles le trentenaire n’était pas préparé, ni disposé à traiter avec ? Du nom du film dont Tomas vient de terminer le tournage, "Passages" nous immerge alors aux côtés d’un homme indécis dont la vie domestique est confortable, bien qu’en mal d’expérience, lui qui souhaite aussi retrouver une forme de liberté, avec peut-être la chance de tomber amoureux, encore. Mais c’est sans savoir ce qu’il aura, tout en sachant ce qu’il a, avec dès lors le risque de le perdre...
Dans un style épuré, naturaliste, qui ressemble à son cinéma, bien que filmé pour la première fois en Europe, Ira Sachs met en scène une histoire moderne d’amour(s) désordonné(s), portée par un trio d’acteurs au service de ces tumultes sentimentaux, dont l’acteur allemand Franz Rogowski, ici sexy et insaisissable, qui monte en flèche, avec son irrésistible cheveu sur la langue et son visage nostalgique et angélique, lui qu’on a vu récemment - et grandement apprécié - dans "Great Freedom" de Sebastian Meise et "Freaks Out" de Gabriele Mainetti ("Disco Boy" de Giacomo Abbruzzese nous a malheureusement échappé), sans oublier évidemment Ben Whisaw et Adèle Exarchopoulos. L’acteur britannique incarne quant à lui un homme frêle délaissé, lequel doit combler et jongler en fonction des va-et-vient importuns de son mari, dans leur maison, qu’il a pourtant quittée. Mais alors qu’il est aussi en train d’essayer de refaire sa vie, ou plutôt de trouver du réconfort, une part de lui aime toujours autant Tomas, d’où son incapacité à mettre des limites, et donc à vivre dans l’ombre d’Agathe. Adèle Exarchopoulos joue quant à elle avec beaucoup de naturel, sans que son personnage se pose cependant (trop) de questions, elle qui sait pourtant que son compagnon volatil, qui "fait du bruit" et qu’on "ne connaît pas", a toujours été marié à un homme. Mais l’euphorie des sentiments ne se contrôle pas, ni leur intensité, aux dépens parfois égoïstement d’autrui, qui gravite pourtant autour.
Il est à la fois beau et triste ici d’assister au début et à la double fin d’une relation amoureuse, Ira Sachs parvenant à capter toute l’envie - sans limites - d’étreinte, et la confusion de ces êtres en quête d’amour, de soif de ressentir et de vivre éperdument, quitte à se laisser dépasser. Cependant, la mise en scène de son film, dépouillée d’effets, lente, organique, et peu avare en musique, tire en longueur. Mais l’émotion est bien là, éclaboussant du jeu en symbiose de ses formidables acteurs, touchants et s’abandonnant à leurs personnages, terriblement humains, dans un film dont le titre augural témoigne de l’incompatibilité de nos choix, aussi instinctifs que réfléchis, de leur caractère éphémère, et dont les conséquences n’offrent parfois pas de retour en arrière possible...