Genre : Drame
Durée : 98’
Acteurs : Penélope Cruz, Luis Tosar, Juan Diego Botto, Adelfa Calvo...
Synopsis :
Pour Rafa, avocat aux fortes convictions sociales, la journée s’annonce compliquée. Il a jusqu’à minuit pour retrouver la mère d’une fillette laissée seule dans un logement insalubre. A défaut, la police placera la petite en foyer. Dans sa course contre la montre, Rafa croise la route d’Azucena, une femme injustement menacée d’expulsion, et qui pour s’en sortir, tente de provoquer une révolte citoyenne. Alors que les heures défilent implacablement pour ces deux âmes en lutte, Madrid se transforme sous leurs yeux en creuset de toutes les colères...
La critique de Julien
Nommé pour cinq Goya, "En Los Márgenes" (ou "À Contretemps" chez nos voisins français) est le premier film réalisé par l’acteur et dramaturge hispano-argentin Juan Diego Botto, coécrit avec son épouse écrivaine et journaliste, Olga Rodríguez. Né à Buenos Aires, c’est en 1978, pendant la dictature militaire, que sa famille a été contrainte à l’exil, pour s’installer en Espagne, à Madrid. Depuis, l’ensemble de son œuvre (théâtrale) semble avoir été imprégné de son histoire, avec des thèmes récurrents comme l’exil, l’impunité, ou encore la mémoire. Fruit d’un long travail de documentation et d’écriture, ce drame activiste met en lumière le travail de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (Plateforme des victimes du crédit hypothécaire), qui est une association militante pour le droit au logement, fondée en février 2009 à Barcelone, et active depuis dans toute l’Espagne, alors que « ces dix dernières années en Espagne, 400 000 expulsions ont eu lieu » rappelle le réalisateur, à la fin du film. Comme a pu le faire Éric Gravel dans son récent film "À Plein Temps", Juan Diego Botto nous livre ici un film qui se vit à mille à l’heure, durant vingt-quatre heures top chrono, à la rencontre de trois individus et leur entourage, de trois destins qui courent sans s’arrêter et se confrontent à la dure réalité sociale asphyxiante, pour un semblant de dignité, face à une société capitaliste qui a, malheureusement, toujours une longueur d’avance sur les droits humains...
Avocat en droit social, Rafa (Luis Tosar) tente alors de retrouver la mère immigrée d’une petite fille avant qu’elle ne lui soit retirée, lui qui, dans sa lutte acharnée, néglige sa famille, dont sa compagne enceinte et son beau-fils ado en mal d’autorité paternelle. Il y a aussi l’histoire d’Azucena (Penélope Cruz), une caissière sans le sou sur le point d’être expulsée de son appartement avec son mari et leur fils, devenu quant à lui muet, lequel absorbe toute leur tension comme une éponge. Mais c’est seule qu’elle se bat pour leur condition, son mari - joué par Juan Diego Botto lui-même - ayant choisi la voie de la fatalité, elle qui tente, dans un dernier effort, d’organiser un rassemblement social en bas de ses marches. Sans oublier Teodora (Adelfa Calvo), une femme âgée qui a perdu sa maison après avoir été garante de son fils, elle qui complète alors une lettre attribuée au ministère du Logement, tandis qu’elle tente désespérément de renouer avec son fils, lequel, par honte, a décidé de couper les ponts. Sans se rencontrer, ces personnages, de toute classe, vont pourtant ici s’effleurer, et se battre, à leur façon (mais toujours pacifiquement) contre le temps - à défaut d’argent - qui leur est compté...
Le calme avant la tempête... "En Los Márgenes" commence, en effet, en douceur, mais pessimisme, installant ainsi le contexte dans lequel va évoluer cette histoire, passant sans cesse d’un profil à l’autre. On y découvre alors les regards inquiétés de ses personnages, aux visages creusés, tandis qu’on y entend, à la radio, les dégâts occasionnés par la crise immobilière et l’effondrement du système néo-libéral espagnol. Puis, très rapidement, Juan Diego Botto nous plonge dans une course effrénée d’un réalisme confondant, filmé en format 4:3, avec un grain de pellicule 35 mm. La mise en scène de son film, volontairement décousue, participe alors à une dynamique d’une efficacité redoutable, au travers de laquelle ses profils se donnent, avec force et abnégation, dans leurs combats. On est dès lors happé par l’énergie qui se dégage de cet unisson, même si l’on sait que l’issue ne peut être favorable pour tous. Mais une "sensation de vérité" - comme le citera son metteur en scène - transpire de son métrage, lui qui y traite de sujets complexes qui s’entrechoquent ici, comme le choix de baisser ou non les poings face à l’inéluctable, et donc d’affronter ou d’abandonner, mais toujours avec honneur, ou encore d’ouvrir les yeux sur ceux qui nous entourent, et ce pour quoi certaines personnes se démènent, pour le bien et les droits communs, quitte à s’oublier derrière cela, sans que tout cela ne soit normal. Juan Diego Botto met alors le doigt sur la honte qui habite tout individu lorsqu’il est confronté à son impuissance (ici à sa précarité), alors que celle-ci est le résultat d’un système social capitalisme - criminel - qui l’engendre, avec mépris et indifférence envers l’humain qui travaille et paie toute sa vie...
Porté par ses acteurs Penélope Cruz - qui produit ce film qui lui tenait à cœur - et Luis Tosar, "En Los Márgenes" est un film bien de notre époque, qui se vit avec tension et intérêt, à deux cents à l’heure, lui qui emprunte aussi bien au thriller qu’au documentaire, étant donné l’authenticité des faits racontés, et l’urgence défendue, corps et âme par ses personnages terrassant de vérité. Mais ce que l’on retiendra surtout de ce film, dont l’impact sociétal vis-à-vis des pouvoirs sera sans doute limité, c’est que malgré les drames et les contradictions humaines qui s’y jouent, Juan Diego Botto parvient à y faire naître une solidarité et une forme d’espoir qui subsistent, et cela à toute épreuve, même à celle du futur, incertain pour les 41 000 menacés d’expulsion par an en Espagne, et à ceux qui le sont partout ailleurs...