Genre : Drame, thriller, policier
Durée : 119’
Acteurs : Shailene Woodley, Ben Mendelsohn, Ralph Ineson, Jovan Adepo...
Synopsis :
Malgré ses ambitions, la jeune enquêtrice du FBI Eleanor est confrontée à ses démons du passé qui perturbent son existence. Lorsqu’elle est chargée d’enquêter sur un crime brutal, la jeune dame s’engage dans une angoissante traque afin de retrouver un tueur en série sanguinaire. Inexpérimentée, Eleanor est aspirée par cette affaire et devra rapidement faire appel à son propre esprit tourmenté pour arrêter le mystérieux meurtrier.
La critique de Julien
Cela fait près de dix ans qu’on n’avait plus eu de nouvelles du réalisateur argentin Damien Szifron, lui à qui l’on doit la comédie noire d’anthologie "Wild Tales"/"Relatos Salvajes"/"Les Nouveaux Sauvages" (2014), composée de six courtes histoires ayant pour thème commun la catharsis, la violence et la vengeance, et au travers desquelles le cinéaste, par l’absurde, faisait état des conséquences de la société capitalisme sur nos comportements, poussant souvent l’humain à réagir de manière inattendue, et extrême. Devenu le film argentin le plus vu de tous les temps, ce dernier avait d’ailleurs concouru à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2015, tandis qu’il avait été présenté en Sélection officielle en compétition au 67e Festival de Cannes. En plus d’avoir fait justement partie du Jury des longs métrages en compétition sur la Croisette cette année-ci, le metteur en scène et scénariste est enfin de retour dans les salles de cinéma avec l’impressionnant polar "Misanthrope/To Catch a Killer", dans lequel une jeune flic troublée de Baltimore va être recrutée par le FBI afin de traquer un tueur en série...
Il aura fallu du temps pour que Damien Szifron mette en boîte son premier film en anglais, lui qui s’était, avant ça, lancé sur un autre projet hollywoodien, sans pour autant aboutir [1]. Tandis qu’il mettra en scène pour le cinéma l’adaptation de sa propre série télévisée "Los Simuladores" (2002-2004), c’est donc aujourd’hui "Misanthrope" que nous découvrons dans nos salles, lequel s’ouvre sur une scène de tuerie absolument glaçante, à la fois dans son réalisme et sa violence que dans sa direction photographique de Javier Juliá. On y découvre, alors, durant les célébrations du Nouvel An, des hommes et femmes tombés comme des mouches, victimes des balles d’un tireur d’élite méticuleux, qu’ils soient situés sur une terrasse, dans un ascenseur ou dans une piscine d’un luxurieux penthouse. Dans ce thriller, Damien Szifron filme alors le mal de l’intérieur, le mal insidieux, qui agit dans l’ombre, sans scrupule, lequel n’est pas alors un monstre, ni l’œuvre du Diable, mais bien un être humain confectionné par la société occidentale dans laquelle nous vivons, et qui, d’après le réalisateur et co-scénariste, "est une prison qui détruit notre sensibilité et ternit les rapports humains". La talentueuse, téméraire officier de police de la zone Eleanor Falco (Shailene Woodley) va alors agir en héros pour venir en aide aux victimes et leurs proches, elle qui va, par sa bravoure, sa perception et sa détermination, taper dans l’œil de l’enquêteur en chef du FBI Lammark (Ben Mendelsohn), lequel va la recruter, bien qu’elle ait, autrefois, été empêchée de rejoindre le FBI, étant donné son passé autodestructeur. Or, c’est peut-être ses tortures et démons intérieurs qui vont permettre à la demoiselle de comprendre l’esprit et les motivations du tueur, ce qu’a bien compris Lammark...
Assez virtuose dans sa manière de filmer - avec sang froid - la série de scène des fusillades de masse, Damien Szifron réussit ici son retour derrière la caméra, étant donné un film passionnant à suivre, lui qui s’immisce dans les tréfonds de la conscience humaine, en proie à son époque, et aux agissements parfois inhumains qu’elle incombe à l’homme. Palpitant dans sa traque, "Misanthrope" nous confronte alors à des êtres tourmentés, en manque d’empathie par le système (pourri sous les costards-cravates), en commençant par le complexe personnage de la troublante Shailene Woodley (elle qui nous avait manquée [2]), sans doute ici aussi perturbé que le tueur (sans pour autant agir de la même manière !), puis celui de Ben Mendelsohn, aussi intransigeant (à raison) que touchant, et dont l’enquête est ralentie par ses supérieurs et la politique du moment, qui ne souhaitent aucunement calmer la vie à Baltimore, tout en pensant savoir mieux gérer l’enquête et son déroulé, et tomber ainsi sur le(s) responsable(s), sans faire trop de dégâts. Le face-à-face du duo d’enquêteurs désabusés face au pouvoir en place (obnubilés par les médias) témoigne alors des rapports de force au sein même de celui-ci, menés par ceux qui tirent les ficelles. Falco et Lammark n’auront dès lors pas d’autre choix que de faire fit de l’autorité et de la légalité pour agir en conséquence des actes commis, et des injustes et dangereuses décisions prises "en haut". C’est donc ici l’histoire d’un double combat, remontant ainsi à la racine du problème du capitalisme, qui contrôle, sans égard, et autre regard que celui du profit. Par ce prisme contemporain, les scénaristes desservent cependant l’efficacité de "Misanthrope", ainsi que sa tension. Aussi, on reste dubitatif face au lien fictif qui lie la haine de l’humanité entre ladite flic et le meurtrier (trop peu développé, joué par Ralph Ineson), permettant, d’une part, à celle-ci de s’extérioriser et, d’autre part, d’appréhender la personnalité et la psyché de ce dernier, au regard notamment d’un dernier acte qui tente justement d’humaniser le mal, et de le comprendre dans sa dénonciation...
