Synopsis : Dog et Mirales sont amis d’enfance. Ils vivent dans un petit village du sud de la France et passent la majeure partie de leurs journées à traîner dans les rues. Pour tuer le temps, Mirales a pris l’habitude de taquiner Dog plus que de raison. Leur amitié va être mise à mal par l’arrivée au village d’une jeune fille.
Acteurs : Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatea Bellugi
Décodage de l’affiche !
A première vue (mais l’expression est mal choisie... quoique !) le spectateur pourra penser qu’il aura affaire à du déjà vu et que ce premier film de Jean-Baptiste Durand n’apportera rien de neuf au cinéma. Et, à première vue..., c’est en fait, non pas la première vision du film, mais son affiche, soit (habituellement) la première chose que l’on découvre d’un film, ensuite ce sera (ou pas) le synopsis et, éventuellement, l’avis des critiques cinéma, chacun ayant ses références qui lui permettent de se ruer dans les salles ou de boycotter un film !
A première vue... de l’affiche donc, l’on peut décoder certaines choses : nous sommes proches de la montagne, dans un endroit isolé, penchons pour le fin fond de la France (au nom des acteurs, l’on peut déjà poser ce pays comme acquis). Ensuite, trois personnages, deux sont l’un à côté de l’autre assis sur le capot d’une voiture, le troisième, debout, le doigt pointé vers les deux autres : que fait-il ? Que dit-il ? On peut imaginer, mais à ce stade sans trop savoir ! Mais l’affaire se cantonnerait-elle à ces trois-là ? Non, car il y a le chien qui lui regarde l’homme au doigt pointé vers les deux autres et non pas ce vers quoi il pointe ! Et la voiture, est-elle là, simplement par hasard ? Et sans oublier, au bas de l’affiche, la signalétique ! Celle-ci a été instaurée en 2019 et il est demandé de ne pas dépasser cinq pictogrammes pour faciliter la lisibilité. Cinq sont utilisés ici : peut être nuisible pour les moins de 12 ans, contenu violent, anxiogène, langage grossier, drogue et alcool ! La totale en quelque sorte. Il y a cependant, en haut, la mention d’un prix du public. Est-ce le gage d’un bon film ? Parfois oui, parfois non... réponse de Normand... ou d’Héraultais ? En revanche, il y a deux noms qui éveilleront la curiosité du cinéphile : Anthony Bajon et Galatea Bellugi, le premier avait été transcendant dans La prière, la seconde avait marqué les esprits dans L’apparition et auparavant dans Keeper ! Quant au troisième, dont c’est le premier rôle majeur au cinéma, bien peu l’y auront vu ou en auront le souvenir.
A première vue encore, l’on pensera qu’il s’agit d’une histoire de chien, ce que l’affiche peut d’ailleurs donner à penser, surtout si, en seconde instance, on a lu le synopsis pour découvrir que l’un des protagonistes s’appelle Dog ! Et si l’on est érudit ou bon lecteur comme l’est Mirales, peut-être que l’on pensera à l’expression argotique, "chien de la casse", qui donne son nom au roman de Mouss Benia, publié en 2007, où on lira : « Maintenant, je comprends mieux pourquoi les jeunes de mon quartier s’appellent entre eux chiens de la casse. J’ai l’impression d’être tenu par une laisse invisible. Je peux toujours aboyer, j’évolue dans un périmètre délimité. Mon pedigree est déjà consigné chez le greffier. Faut-il que je tente le diable pour garnir enfin ma table ? » L’auteur se fait écho des désirs secrets d’une génération qui n’a plus l’âge ni l’envie de brûler les voitures (4e de couverture).
Ensuite, le film, parce que c’est là l’essentiel...
Un film hors des sentiers battus !
Ces "premières vues" traçaient un chemin dont il semblera à un certain nombre, habitué aux dérives de quelques films, qu’il en connait les balises, et qu’on le forcera à aller, là où il ne veut pas se rendre. Là, ce sera surprise, car Jean-Baptiste Durand nous attend au tournant et nous mène en un lieu que l’on ne pouvait imaginer, avec une intrigue qui est tout sauf convenue. Eliminons d’emblée ce que l’on croirait pouvoir attendre, deux gars et une fille, trois possibilités, comme dans le film Threesome, réalisé par Andrew Fleming (1994) ; pas plus qu’un triangle amoureux, ce ne sera non plus une bromance virile ! Et enfin, ce ne sera pas non plus un film de banlieue transposé dans la province profonde !
Le réalisateur s’ancre dans ses terres natales et situe son film dans un petit village, un bled perdu de quelques centaines d’habitants tout au plus. Le portrait qu’il dresse n’est pas misérabiliste, c’est une chronique du temps qui passe... où il ne se passe rien. Où le temps est perdu ! Le temps, mais aussi la vie, les amours, les amitiés... où aucun avenir ne peut être construit ! Lorsqu’au terme de leur existence, Dog et Mirales feront le bilan de leurs vies, il ne leur restera, qu’une majorité de jours banals, qu’ils auraient pu terminer en se disant "mais qu’ai-je donc bien pu faire de ma journée ?" ! Quant à Elsa, si nous ne l’intégrons pas à l’équation c’est que malgré sa présence dans l’intrigue, elle ne changera rien, ne bousculera ni codes ni habitudes et renverra les antihéros rencontrés à leur vie faite de silences et de paroles.
Le silence sera du côté de Dog qui subira — malgré lui... et pourtant en y consentant ! — l’emprise de Mirales, son copain de presque toujours (presque parce que l’accent de l’acteur a obligé le réalisateur a le faire naître dans une autre région) ! Son copain qui l’assomme de paroles, de littérature, car Mirales est celui qui a lu plus que de raison, mais dont le bagage littéraire ne lui est d’aucun secours ! Pour lui cette histoire se joue aussi entre domination assumée et acceptée, en somme comme pour son chien Malabar (qui joue, osons, sans cabotiner !).
Jean-Baptiste Durand, dans un premier film remarquable, filme donc le quotidien d’une existence sans avenir, sans but et où les protagonistes sont condamnés à rester sur place, à faire du surplace, dans la prison sans murs qu’ils se sont construite et imposée et où, outre les rencontres le soir avec les potes, il ne reste qu’à jouer à la baballe avec un chien que l’on aime autant que les humains.
Du reste, il ne faut pas trop en dire, il faut le découvrir en salle, car c’est un film à voir absolument, d’urgence et où les acteurs jouent au cordeau et si l’on connait le talent de Galatea Bellugi et d’Anthony Bajon, c’est surtout le jeu de Raphaël Quenard que l’on retiendra (qui avait un des rôles principaux - Jimmy - dans la série HP sur OCS). Est-ce que cet acteur [1] nous dit quelque chose de lui ? Peu importe, mais c’est une valeur sûre à suivre dans le cinéma.
Est-ce à dire pour autant que le film est parfait ? Non, bien sûr. Il nous semble que le film aurait pu se clore après une (dernière) péripétie, où le futile d’une bagatelle, d’un dessin grivois, aura des conséquences en cascade, un coup de poignard au cœur de la violence, et qui place les protagonistes en sidération à tel point que la violence initiale n’a plus rien pour alimenter le feu de son auto-combustion. Là, après une scène dans la campagne, où nos deux héros se retrouvent pour mettre fin à un deuil, il y a un fondu au noir. L’on aurait aimé que le réalisateur n’en dise et surtout n’en montre pas plus. Car en voulant donner une fin "positive" à ses personnages, il semble verser dans la facilité d’autres films, ce qu’il avait réussi à éviter jusque-là. La qualité de ce film fera pardonner à Jean-Baptiste Durand d’avoir versé dans cette ornière !