Genre : Drame, thriller
Durée : 102’
Acteurs : Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Marc Barbé, Pascal Elso...
Synopsis :
Eté 2019. Diplômée de Sciences-Po, Madeleine part préparer les oraux de l’ENA en Corse avec son amoureux, Antoine. Au détour d’une petite route déserte, le couple se retrouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame. Le secret qui les lie désormais pèsera lourd sur leur future carrière politique...
La critique de Julien
Peut-on changer le monde quand on a les mains sales ? C’est l’une des questions que soulève le drame et thriller "De Grandes Espérances", second long métrage de fiction du cinéaste français Sylvain Desclous, après "Vendeur" (2016), et plusieurs documentaires. Dans celui-ci, la figure montante du cinéma français Rebecca Marber (vue récemment dans "Mon Crime" de François Ozon) et le sociétaire de la Comédie Française Benjamin Lavernhe jouent le rôle d’un jeune couple aspirant à une (grande) carrière dans la politique. Sauf qu’ils vont vivre un drame en vacances en Corse, lequel va hanter leurs ambitions personnelles, et faire dévier leurs trajectoires...
Avec ses airs de tragédie grecque moderne, le film suit ainsi Madeleine et Antoine. La première est militante et déterminée, et s’est affranchie de ses origines, elle qui sort de Sciences-Po et s’apprête à passer le concours de l’ENA (École Nationale d’Administration) pour rejoindre ensuite les hautes sphères du pouvoir. Son compagnon est, quant à lui, un fils à papa sous l’emprise - justement - de son père (cynique et méprisant les faibles) et de son milieu social aisé. C’est que Madeleine est une authentique future politicienne qui veut faire bouger les lignes, (au départ) transparente et pleine d’espoir, tandis qu’Antoine, lui, n’affronte pas l’adversaire, préférant s’humilier lui-même, étant plus fragile et suiveur (ou, le cas contraire, fugueur). C’est d’ailleurs parce qu’il est fasciné par sa compagne qui ressent également l’envie (moins profonde) de changer le monde... Mais outre leurs convictions politiques, c’est sans doute aussi l’absence d’une mère dans leur vie qui a rapproché les deux amants, bien qu’Antoine ait une belle-mère (Emmanuelle Bercot), en la personne d’une députée socialiste charismatique, elle qui sentira très vite qu’il y a anguille sous roche vis-à-vis de Madeleine et d’Antoine... Leur équilibre et idylle prendront ainsi une tout autre tournure à la suite d’une rencontre inopinée, en route, dont les conséquences prendront l’allure d’un fatum, sans jamais plus les lâcher...
C’est assez rapidement que l’on comprend que le scénario du film (dont le titre fait référence au roman du même nom de Charles Dickens) évoluera sous le poids d’une épée de Damoclès, étant donné le mensonge en son sein. Bien aidé par la musique anxiogène de Florencia Di Concilio, mais également du fluide montage d’Isabelle Poudevigne (pour leur troisième collaboration), laissant planer le doute et l’imprévisibilité sur une histoire dont on connaît pourtant, dans les grandes lignes, les aboutissants, Sylvain Desclous réussit à nous tenir tout le long de son film en haleine. Il faut dire que le jeu de ses acteurs y est également pour quelque chose. Rebecca Marber s’avère ainsi vibrante et complexe dans le rôle d’une femme qui ne lâche rien, et qui parvient à rebondir, même au pied du mur, sans jamais abandonner ses objectifs. Son personnage, aucunement arriviste, sans être également carriériste, dégage alors une force, Madeleine se battant à chaque instant, que ça soit pour elle, mais surtout pour autrui. Réfléchie, attentive, posée dans son phrasé, l’actrice offre une interprétation toute en densité d’une jeune femme ambitieuse et combative, qui a pourtant encore tout à apprendre du métier et du monde qu’elle veut changer. Face à elle, Benjamin Lavernhe étonne également dans son jeu, étant donné la tournure psychologique suivie par son personnage, absent une bonne partie du récit, avant de revenir comme si de rien n’était, espérant reprendre ainsi la place qu’il avait laissée. De prime abord sympathique et simple, l’image de l’acteur en prend ici un coup, étant donné l’inquiétude qui se dégage de son visage, transformé, blessé.
Palpitant, "De Grandes Espérances" construit alors son intrigue autour d’un dilemme amoral, duquel l’issue est connue, du moins en l’état. Pourtant, le scénario de Sylvain Desclous et de Pierre Erwan Guillaume nous réserve son lot de surprises, venant relancer les cartes, même si le hasard et les facilités font bien les choses. Sylvain Desclous offre alors une place de choix dans son film à la fin qui juste les moyens, dans ce monde impitoyable, vis-à-vis de son personnage féminin central, dont la chose d’horrible qu’elle a commise est révélée aux yeux du monde au moment où sa carrière s’envole, elle qui défendait pourtant une juste cause, triomphante. Est-ce que ses actes, réalisés au moment des faits, sans lucidité, discréditent ou disqualifient dès lors ou non son combat actuel ? Telle est la question... Le cinéaste interroge donc notre rapport aux règles de société face à l’ambition, et la culpabilité, les remords, résultant d’un drame et de (mauvais) choix pris à la suite de celui-ci, auquel le spectateur peu d’ailleurs croire, ou non. Cependant, celui-ci sera la pierre angulaire de ce drame et thriller socio-politique, lequel questionne pertinemment nos origines face à notre carrière, tout en nous disant que celles-ci ne sont pas à renier pour réussir. Bien au contraire, elles peuvent même nous sauver, et surtout nous façonner, nous déterminer...
Riche de sens et d’enjeux, "De Grandes Espérances" un multiple combat de tous les instants pour sa jeune héroïne, à la carrière politique prometteuse, jouée ainsi par l’intense et stupéfiante Rebecca Marber, dont le jeu s’épaissit à mesure que son personnage traverse les tempêtes, elles qui risquent de la faire chavirer à n’importe quel moment, d’où une tension permanente. Les sentiments amoureux, les origines sociales, ou encore le poids du passé concurrencent sans cesse ici ses convictions politiques, sans jamais lui faire perdre le nord ni la gauche, à défaut parfois de lucidité. Mais le film de Sylvain Desclous, lui, n’en manque pas, et se révèle à la fois très intriguant, et inquiétant.