Genre : Drame
Durée : 123’
Acteurs : Hugh Jackman, Vanessa Kirby, Laura Dern, Zen McGrath, Anthony Hopkins...
Synopsis :
Peter est un businessman très demandé qui partage son temps précieux entre sa carrière, ses amis et sa vie de famille. Lorsque sa nouvelle épouse accouche d’un enfant, leur bonheur familial va être remis en cause suite à la venue inattendue de l’ex-femme de Peter et de son fils Nicholas. L’adolescent est rebelle, il sèche les cours et s’est complètement détourné de son père. Peter essaye alors d’être un meilleur père pour son fils, mais la situation autour de Nicholas met la famille dans une situation dangereuse.
La critique de Julien
C’était il y a deux ans, et l’on s’en souvient très bien. Acclamé à travers le monde, et notamment récompensé de l’Oscar du meilleur scénario adapté, ainsi que de celui du meilleur acteur pour Anthony Hopkins, "The Father" marquait le premier passage derrière la caméra du dramaturge français Florian Zeller, aidé ici à l’adaptation de sa propre pièce de théâtre (2012) du même nom par un autre dramaturge, Christopher Hampton, lequel l’avait d’ailleurs traduite pour être jouée à Londres. Alors qu’il s’agissait en réalité de la seconde adaptation de cette œuvre après le film "Floride" (2015) de Philippe Le Guay (avec Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain), celle de Florian Zeller profitait, quant à elle, de ce que le cinéma pouvait lui offrir pour étendre davantage ses richesses, et cela dans un puissant huit clos et vertigineux labyrinthe, au sein d’une mémoire qui s’effaçait, lui que l’on qualifiait de "très joli coup de maître". Place donc maintenant au second essai. Or, avant d’être son second film, "The Son" est la dernière pièce de théâtre de sa trilogie familiale (qui compte aussi "The Mother", jouée dès 2010), créée en 2018 et jouée à la Comédie des Champs-Elysées avec Yvan Attal et Rod Paradot, et dès l’année suivante à l’étranger, dont à Londres, toujours avec l’aide de Christopher Hampton. Or, on ne change pas une équipe qui gagne, puisque le désormais cinéaste confirmé, aidé par son complice d’écriture, adapte ici "The Son" pour le grand écran, soit l’histoire d’un père quinquagénaire souvent absent (Hugh Jackman), rêvant depuis longtemps d’une carrière politique, lequel va cependant tenter de redonner goût de vivre à son fils adolescent en décrochage scolaire et dépressif (Zen McGrath), lui qui fut délaissé par ce premier, et cela au même titre que son ex-femme (Laura Dern), lorsqu’il a décidé, après l’avoir trompée, de refaire sa vie avec sa nouvelle compagne, Sofia (Vanessa Kirby), bien plus jeune, laquelle vient de lui donner un deuxième fils...
Terrible échec aux États-Unis, où le consensus des critiques de Rotten Tomatoes le considère comme un "mélodrame agressif et rebutant", "The Son" n’est, il est vrai, pas aussi ambitieux en termes de mise en scène que l’était son premier film, bien que Zeller, dans une dernière scène finale, appuie là où ça fait mal, en manipulant une nouvelle fois de spectateur. Sauf que, dans ce cas-ci, cela n’était pas vraiment nécessaire, d’autant plus que "The Son" n’a plus rien à prouver à ce stade-là de son intrigue. Aussi, on pourrait lui reprocher la prévisibilité de sa descente aux enfers existentielle et relationnelle (pour et) entre un père et son fils, à l’image, par exemple, d’une machine à laver qui tourne, et que filme Zeller, comme s’il y cachait quelque chose, ce qui sera d’ailleurs brièvement souligné dans le film. Mais cela le sera suffisamment pour nous mettre la puce à l’oreille, et cela, d’une part, quant à l’issue de cette histoire et, d’autre part, quant à la teneur de la relation du personnage de Jackman avec celle de son propre père égoïste (Anthony Hopkins), lequel a construit sa vie autour du travail, et non autour de son devoir de père, ce que l’on apprendra au cours d’une courte scène d’une rare intensité et maîtrise. Mais malgré ses manques de finesse, ou de prises de position quant aux sujets sensibles auxquels il touche, "The Son" nous a pourtant profondément bouleversé, lui qui s’avère être extrêmement juste dans ses mots, et ses interprétations.
Il y a d’abord ce père, Peter, que Hugh Jackman interprète dans toute sa complexité, lequel semble ne pas se douter une seule seconde du mal-être de son garçon, "différent des autres", vivant une période "difficile", avant d’en prendre conscience, et cela en l’ayant accepté chez lui, lequel avait sans cesse des idées noires chez sa maman. Mais cela ne changera pas la donne, puisque Nicholas va lui mentir également, et lui faire entendre ce qu’il veut entendre. Car ce père et homme reflète la réussite et le mérite, lequel, en ayant fui dans le passé son père, est en train de reproduire indirectement à son tour ce schéma paternel toxique, mais cette fois-ci avec son propre fils, lequel ne se sent inlassablement pas à la hauteur de son père, alors que la politique et le droit ne l’intéressent pas. Autant dire que Hugh Jackman est épatant, et tétanisant, dans son rôle, lequel s’absente et s’évade de plus en plus de la vie actuelle et de ses réunions de travail (au rythme auquel son fils sombre), et cela en replongeant notamment dans un souvenir familial où il apprenait à son fils (de six ans et demi à l’époque) à nager, à un moment où tout allait bien, ce que lui rappellera aussi son ex-épouse (jouée avec beaucoup de précision par Laura Dern), elle qui semble ne s’être toujours pas remise de la douleur de sa séparation avec Peter (et voyant de plus, après son mari, son fils la quitter). Au même titre, finalement, que Nicholas, joué par le touchant Zen McGrath, en jeune homme désespéré, lequel se fait du mal pour, soi-disant, canaliser la douleur. Dans l’incompréhension, son père lui posera ainsi bien des questions, tout comme Peter lui fera comprendre qu’à chaque fois qu’il se fait du mal, c’est comme s’il en faisait à son père. Or, son fils lui rétorquera qu’il lui en a fait tout autant, et cela lorsqu’il a trompé sa mère, avant de les abandonner. Nicholas ne trouvera dès lors pas ce qu’il est venu chercher auprès son père, tout en ayant l’impression de ne pas être à sa place, surtout face au regard de sa belle-mère (Kirby), malgré les efforts de cette dernière, inquiète quant à son manque de stabilité... Mais alors que ce garçon est terrassé par la dépression et inconscient des pensées suicidaires dont il souffre, "The Son" reste cependant vague quant au véritable mal qui hante ce jeune homme, si bien qu’il y ait des mots pour l’expliquer... Florian Zeller et son coscénariste posent alors la question de la fatalité de la vie, et de la plausibilité de sauver des vies, soit celle ici d’un fils. Or, celle-ci se révèle particulièrement lourde de sens, et d’une grande humanité.
Au cœur de "The Son", il y a donc l’histoire d’un divorce, lequel est, sans aucun doute, la première cause de cette détresse, de cet "appel à l’aide", sans qu’aucune bouée ne puisse pourtant sauver la vie de celui qui l’a demande (même excellent nageur soit-il), laissant dès lors celui qui la tend, et qui lui a appris à nager, dans l’incompréhension, dans la culpabilité. Est-ce donc ainsi un crime que de tomber amoureux d’une nouvelle personne ? Faut-il se sentir coupable d’écouter ses sentiments, et encore plus lorsque le cocon familial d’un enfant va être marqué, brisé à vie ? Certes, il a des choses que l’on ne fait pas dans la vie, comme se faire du mal. Mais laisser sa famille pour une autre, est-ce que cela peut se faire ? Voilà pour ainsi dire quelques questions que soulève Florian Zeller au travers de son nouveau film, sans y donner verbalement de réponses. Cela est laissé ici aux yeux de ses interprètes, qui servent ses propos avec énormément de sensibilité, d’écoute, de doutes. Or, les décors stériles aux couleurs cliniques ici filmés par Zeller et le chef opérateur Ben Smithard (tels qu’un bureau situé dans un énorme gratte-ciel new-yorkais d’une célèbre compagnie d’avocats, ou encore un appartement moderne impersonnel) laissent transparaître ici l’idée de la difficulté d’exprimer ses sentiments, alors que le train-train quotidien empêche ici d’offrir le temps qu’on devrait consacrer aux siens. Cependant, des élans de vie, de famille et d’espoirs coïncident au désespoir inhérent à "The Son", lequel questionne également sur la maladie, et le travail de la médecine, qui se doit d’être écouté, et suivi, malgré les supplications du patient, face à celui/ceux qui le place(nt). Car si la mort peut attendre, l’amour, lui, ne suffit pas...
Dédié à Gabriel, qui n’est autre que le fils né d’une précédente relation de son épouse, Marine Delterme, lequel serait alors passé, durant son adolescence, par une sévère dépression, Florian Zeller, qui a depuis eu un enfant avec son épouse, nous offre avec "The Son" un drame juste, habité, autour des liens complexes et intimes qui unissent un père et son fils, mais dont la vie peut, parfois, nous en faire perdre le contrôle, sans qu’on ne puisse les rattraper, les réparer, ni en imaginer les répercussions à postériori. Pourtant, la vie se doit de continuer, tandis qu’on n’arrête jamais d’en apprendre. Il n’y a donc pas de réponse toute faite à la question d’être un bon père, ni de recette magique pour l’être. Et ce film, dans sa tentative humble et courageuse, ne prétend aucunement en avancer. Par contre, il est le profond témoin d’une lecture qui vous en donnera peut-être des clefs. Mais que vous soyez père, ou mère, ou encore un adolescent, "The Son" vous touchera autant qu’il nous a touché. Et c’est là sa force universelle, soit celle de parler finalement de liens qui, malgré leur indéfectibilité, peuvent suivre des destins différents, sans parfois aucun retour en arrière possible...