Genre : Drame
Durée : 108’
Acteurs : Fabrice Luchini, Catherine Frot, Camille le Gall, Philippe Katerine, Artus, Bastien Ughetto, Paul Mirabel, Agnès Hurstel...
Synopsis :
Alors que Jean, maire très conservateur d’une petite ville du Nord, est en campagne pour sa réélection, Edith, sa femme depuis quarante ans, lui annonce une nouvelle qu’elle ne peut plus taire... Au plus profond de son être, elle est - et a toujours été - un homme. Jean pense d’abord à une plaisanterie mais réalise rapidement qu’Edith est sérieuse et déterminée à mener sa transition jusqu’au bout. Il comprend alors que son couple, mais aussi sa campagne électorale, risquent d’être sacrément chamboulés...
La critique de Julien
"En avant, comme avant !" : tel est le slogan de la nouvelle campagne politique de Jean Leroy (Fabrice Luchini), maire de droite très traditionaliste, conservateur et clientéliste d’une petite ville du Pas-de-Calais, lequel milite notamment contre la PMA. Marié depuis quarante ans à Edith (Catherine Frot), ce dernier lui avait alors promis de prendre sa retraite, et de lui offrir un voyage en camping-car de luxe. Sauf qu’il a la lourde tâche de lui annoncer qu’il va se représenter aux élections. Mais ce n’est rien comparé à l’annonce que sa femme s’apprête à lui faire, lequel risque de ne plus avoir une vie à l’image dudit slogan ! En effet, celle-ci va "franchir le Rubicon", et lui annoncer avoir toujours été un homme, et ne plus vouloir taire son identité profonde. De quoi donc compromettre sérieusement la carrière politique de cet homme, ainsi que son image...
Après "16 ans ou Presque" (2013), "Rattrapage" (2017) et "Docteur ?" (2019), force est de constater que la carrière cinématographique du cinéaste français Tristan Séguéla est sur la pente ascendante. "Un Homme Heureux" s’empare ainsi d’un sujet dans l’air du temps, à savoir la transition de genre, par le biais d’un vaudeville sociétal, alors porté par les mastodontes de la comédie que sont Fabrice Luchini et Catherine Frot. Or, sur ce sujet casse-pipe, Tristan Séguéla ne s’en sort pas trop mal, et parvient à nous faire rire, ici et là, il est vrai surtout grâce à casting... masculin, et l’embarras dans lequel se retrouvera ici cet homme n’ayant nullement anticipé ce cas de "force majeure", que "l’Église n’avait pas prévu", soit le "vice de forme" avec lequel est né son épouse, décidant, du jour au lendemain, de suivre un traitement hormonal et des séances de sports à domicile, ainsi que de porter la moustache. Heureusement pour Jean, Eddy (!) lui proposera un compromis, par amour, le temps de sa campagne. Mais combien de temps encore ce secret pourra-t-il être gardé ?
Autant dire que Luchini est fabuleux dans son rôle de bourgeois réac sarcastique et désemparée, son personnage se retrouvant finalement face à son pire cauchemar, enchaînant dès lors les répliques potaches d’un autre temps, avec un air des plus sérieux, le tout en étant désorienté par sa femme, qu’il est prêt à "envoyer chez les dingues". Coscénarisé par Guy Laurent, coauteur des "Qu’est-ce qu’on a ... au Bon Dieu ?" de Philippe de Chauveron, on était donc à même d’attendre le pire de "Un Homme Heureux", mais on avait tort, même si tout est loin d’y être... gai. Car cette comédie représente assez grossièrement la cause qu’il défend, nous faisant entendre tout et n’importe quoi sur l’identité de genre et la question de l’orientation sexuelle, le personnage de Catherine se définissant d’ailleurs comme "gay", étant donné qu’il se sent être un homme (tout en étant physiquement une femme), qui aime un homme (son mari). À cet égard, on regrette que la psychologie d’Eddy soit majoritairement mise sur le carreau pour l’aspect comique du film, laissant ainsi une grande place dans l’intrigue à la cocasserie de la situation dans laquelle se retrouve ce maire (qui lui n’en rigole pas !). On ne ressent ainsi que trop peu la douleur de cette femme d’avoir caché son mal-être toute sa vie, elle qui rêve d’émancipation, ce qu’on aura pourtant du mal à croire. Et ce n’est pas son accoutrement caricatural qui nous aidera à cela, ce que ne manquera pas de signaler son époux, la traitant de "travelo". Autant dire que "Un Homme Heureux" passe manifestement à côté de son sujet principal. Leur relation prendra dès alors une tournure d’ignorance mutuelle, l’un empêchant l’autre de le piétiner, jusqu’à ce qu’ils soient pris la main dans le sac à la suite d’un quiproquo assez embarrassant, filmé aux abords d’une centrale nucléaire...
Bien que cette comédie ait pour légère ambition de faire avancer la cause, elle ne le fait, d’autant plus, nullement lorsqu’elle force les choses, certes ici par amour, mais surtout par intérêt (même si, humoristiquement, on en rit encore), tandis que "Un Homme Heureux" opère un virage sentimental à 180° dans sa dernière partie, très convenue, tout aussi déstabilisante pour nous que l’annonce d’Edith à son mari, mais permettant maladroitement de remettre en lumière Eddy, et sa place au centre du récit, faisant ainsi gagner la tolérance, et l’amour. Sauf qu’on n’y croît plus depuis longtemps ! Heureusement, dans ce grand carnaval (de Dunkerque) qu’est "Un Homme Heureux", l’écriture garde de la place pour des seconds rôles truculents, joués ici par Philippe Katerine et Artus, en collaborateurs du maire ayant bien du mal à garder leur sérieux face à ses mésaventures, le dernier étant là pour rafraîchir sa campagne, étant donné que les électeurs de Leroy vieillissent, et qu’il faut élargir sa stratégie, notamment via l’utilisation des réseaux sociaux, avant que la presse fasse du cas de Leroy la une de ses journaux, avec un titre sans appel : "Les nuits chaudes et velues du maire de Montreuil-sur-Mer" !
Si elle n’est donc pas très fine dans ses représentations et ses intentions, cette comédie douteuse et grand public tente des choses, sans vulgarité, même si l’ensemble, disparate, ne tient pas la route. Mais ici, il n’est pas question de se moquer, ou de déguiser son humour sous prétexte de mettre en scène des minorités. Le film de Tristan Séguéla s’en prend bien ici à une France d’un autre monde, s’obstinant à ne pas vouloir changer, et à rester dans sa bêtise. Pourtant, "le monde change, [Jean]" ! À bon entendeur !