Genre : Drame
Durée : 102’
Acteurs : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall...
Synopsis :
La jeune adolescente Sophie et son père trentenaire Calum partent en vacances dans une station balnéaire turque où ils nagent, jouent au billard, bronzent et se prélassent. Alors qu’un nouveau monde s’ouvre à la jeune adolescente, Calum lutte contre la lourdeur de la vie hors du regard de Sophie. Vingt ans plus tard, les tendres souvenirs de Sophie de ces vacances forment un portrait puissant et déchirant de leur relation, alors qu’elle tente comprendre le côté sombre de son père aimant.
La critique de Julien
Grand prix et Prix de la critique au Festival du cinéma américain de Deauville l’année dernière, "Aftersun" est le premier film de Charlotte Wells, réalisatrice, scénariste et productrice écossaise, laquelle a étudié le cinéma à New York avec l’intention, au départ, de devenir productrice, tout en ayant réalisé plusieurs courts-métrages dans le cadre de ses études. Drame indépendant sur fond de passage à l’âge adulte, "Aftersun" nous amène à la rencontre de Sophie (Frankie Corio), une jeune fille écossaise de 11 ans, en vacances avec son père troublé, Calum (Paul Mescal), dans une station balnéaire turque, la veille du 31e anniversaire de ce dernier. Qualifiant son film "d’émotionnellement autobiographique", la cinéaste a cherché ici à plonger le spectateur dans "une période différente" d’une relation entre un jeune parent et sa fille de celle qu’elle avait exploré dans son premier court-métrage "Tuesday"(2015)...
"Aftersun" s’ouvre alors sur une séquence qui contextualisera l’ensemble de son œuvre, si succincte, délicate, expérimentale, et touchante. On y assiste alors à un enregistrement vidéo sur caméra MiniDV, où Sophie filme et interroge son père (lesquels semblent déjà en vacances), avant de voir le reflet d’une personne au travers de celui-ci, comme si quelqu’un d’autre que nous regardait finalement ces images, avant un enchaînement d’autres, en accéléré. L’instant d’après, la réalisatrice nous invite alors à suivre ces vacances, elles qui se déroulent au début des années 2000. La cinéaste y filme ainsi la complicité désarmante entre ce père et sa fille, lequel est séparé à l’amiable de sa mère, mais fait face à des difficultés professionnelles et financières, tout en étant "surpris d’avoir atteint l’âge de 30 ans". De son côté, la jeune demoiselle va, durant ces dix jours, observer les adolescents qui l’entourent (lesquels ont, au contraire d’elle, un bracelet leur donnant un accès all-in à l’hôtel), rencontrer et jouer à des jeux d’arcade avec un garçon de son âge, mais surtout discuter - sans filtre - avec son père, lequel présente des signes de dépression et de détachement relationnel, ce qu’elle ne perçoit pas comme tel. Ce dernier s’adonnera d’ailleurs à des séances de tai-chi et lire des livres d’auto-assistance, ce qu’elle trouvera "bizarre"...
Charlotte Wells filme ici ce qui pourrait s’apparenter, de prime abord, à de simples vacances entre père et fille. Mais il n’en est rien. On a ainsi de plus en plus la curieuse sensation que ce qu’elle souhaite nous montrer n’est pas réellement ce que l’on en voit en l’état (ce qui sera confirmé en cours de récit), elle qui suggère plus, et offre à ces images un certain regard qui tente de les comprendre. Certaines séquences entrecoupées au récit initial viendront d’ailleurs nous guider sur la teneur de cette histoire. Or, le montage très particulier du film nous en dit long sur la relation entre les deux personnages principaux, qui semblent irrémédiablement se perdre de vue à mesure que ce père plonge dans le noir. En parallèle à ces vacances, on y verra également à plusieurs reprises des scènes où celui-ci danse frénétiquement dans une rave party éclairée aux stroboscopes, tandis qu’une jeune femme tente de se rapprocher de lui, mais en vain, alors que d’autres enregistrements vidéo de ces vacances viennent ponctuer l’ensemble, sans oublier d’étranges et sombres moments où ce père se retrouve psychologiquement sur la pente descendante, et perd pied. "Aftersun" porte dès lors très bien son titre, la réalisatrice révélant habilement les tenants et les aboutissants de cet enchaînement d’images filmées sous différents formats, et donc de sa démarche, particulièrement bouleversante, portée alors par la puissance fragile du jeu sous façade de Paul Mescal, nommé - très justement - à l’Oscar du meilleur acteur. Où quand le souvenir, l’incompréhension et la douleur tentent de chercher des réponses au travers d’images d’archives, à la fois vécues ici intérieurement et extérieurement, afin de nous en immerger pleinement. En témoigne une dernière scène déchirante, par l’évocation, et le cinéma... Bref, un premier film profondément maîtrisé, pour un résultat sur le fil de l’émotion !