Genre : Drame, film historique, guerre
Durée : 109’
Acteurs : Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet, Bamar Kane, Alassane Sy...
Synopsis :
1917. Bakary Diallo s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, qui a été recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, Thierno va s’affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l’arracher aux combats et le ramener sain et sauf.
La critique de Julien
Il y a trois ans, déjà, que Sam Mendes nous dévoilait son film du guerre techniquement révolutionnaire "1917", lequel était tourné sous forme de plusieurs longues prises de vues réelles, mais donnant l’effet d’un seul et même plan-séquence, grâce à l’utilisation de plans de caméra en mouvement et d’un montage ne laissant aucunement présager ses coupures. Notamment Grand Prix 2021 de l’Union de la Critique de Cinéma belge (UCC), ce film nous emmenait alors dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, où deux jeunes soldats britanniques se voyaient assigner une mission, à proprement parler, impossible. Second film du réalisateur français Mathieu Vadepied après "La Vie en Grand" (2015), "Tirailleurs" plante lui également son action en 1917, alors que le Sénégalais Bakary Diallo (Omar Sy) s’engage volontairement dans l’armée française pour suivre Thierno (Alassane Diong), son fils âgé de 17 ans, enrôlé de force dans l’armée française en tant que soldat d’infanterie coloniale, considéré dès lors comme un tirailleur sénégalais (bien que certains étaient originaires de Guinée, du Soudan, ou encore du Niger). Dissous en 1960, ce corps militaire comptait près de 200 000 indigènes durant la Première Guerre mondiale (30 000 morts, mais de nombreux blessés ou invalides), eux dont l’histoire est souvent méconnue, voire oubliée des manuels scolaires. Défini par son metteur en scène comme le "projet d’une vie", "Tirailleurs" leur rend ainsi hommage, lesquels se sont battus pour la France sans jamais (ou tardivement) avoir eu la reconnaissance de leur sacrifice, tout comme Mathieu Vadepied espère, par son film, éveiller les consciences de la richesse de la différence et la beauté des cultures...
Tourné en partie en peul, c’est-à-dire la langue parlée dans une vingtaine d’États en Afrique de l’Ouest et au Sahel ainsi qu’en Afrique centrale, ce film est le fruit de dix années de développement, le réalisateur et Omar Sy s’étant rencontrés sur le tournage "d’Intouchables" (2011), où le premier était directeur de la photographie. Trop âgé aujourd’hui pour en jouer le rôle principal, l’acteur y incarne alors le père du héros du film, tandis qu’il co-produit le projet, lequel a nécessité de nombreuses réécritures de la part des scénaristes, avec notamment quelques frictions entre le réalisateur et Omar Sy, étant donné leurs ressentis parfois différents autour du film, lesquels ont ainsi appris à s’écouter, à échanger, afin notamment ainsi de trouver un axe inédit et respectueux envers le personnage de ce dernier qui, même si est fictionnel, ne devait pas sacrifier la véracité des propos, et surtout de l’émotion...
"Tirailleurs" suit ainsi le parcours du combattant d’un père et son fils dans l’enfer des tranchées de Verdun, le premier cherchant coûte que coûte un moyen pour leur permettre de fuir le combat et rentrer au pays, tandis que le second va s’y émanciper, tout en s’y retrouvant grader après un lavage de cerveau. Alors qu’ils cachent leur relation, ces derniers vont devoir prendre les armes, abandonner leur "lâcheté", leur "désespoir", et surtout ne pas avoir peur des "Allemands, mais de Dieu". D’emblée, le film offre une sombre reconstitution soignée du champ de bataille avec une photographie aux couleurs bleuâtres étonnantes (que les costumes viennent agrémenter), ainsi qu’une tension soutenue (notamment grâce à la musique électrisante d’Alexandre Desplat). Mais "Tirailleurs" prend rapidement la tournure d’un drame familial attendu et mécanique, où les enjeux sont courus d’avance. Dès lors, le film de Mathieu Vadepied s’éloigne de son sujet principal, pour s’intéresser à une relation père-fils intime, heureusement touchante et sans pathos émotionnel, plutôt qu’à la grande Histoire en tant que telle. La guerre devient ainsi l’angle secondaire du film, bien qu’on en ressente les dangers, la mort, l’intrigue évoluant sans cesse sur le terrain. Mais l’immersion et l’impact ne sont pas aussi forts qu’espérés, d’autant plus que l’écriture du film choisit de se rattacher aux horreurs de la guerre et aux tirailleurs par une symbolique appuyée, notamment par l’utilisation de la voix-off d’Omar Sy, où celui-ci nous parle de la condition des hommes que son personnage représente, où encore par l’image d’un renard pris au piège dans les barbelés, perdu dans le chaos, déraciné, lequel se promènera plus tard sur la tombe du Soldat inconnu, à Paris, de nos jours.
S’il se perd en chemin, le film de Mathieu Vadepied est cependant habité par la démarche authentique de son auteur, sans fioritures, et la puissante interprétation toute en retenue d’Omar Sy, dans la peau d’un père risquant la cour martiale pour sauver son fils. Au contraire, le fils, joué par Alassane Diong, manque de profondeur et de caractérisation, outre que par le prisme de la relation avec son père, et la machinerie de la guerre. En miroir, le duo lieutenant (Jonas Bloquet) et général (François Chattot) Chambreau montre une autre vision de la relation père et fils engagés pour la patrie, lequel n’aimera ou ne regardera son fils - pourtant dévoué - que lorsqu’il aura perdu sa vie au combat. Un point de vue intéressant, mais malheureusement ici sous-exploité. Mais on se contentera du peu, surtout que le sujet n’est pas là...
Mais si "Tirailleurs" vaut bien le détour en salles, c’est aussi pour l’actualité de celui-ci, alors que quatre figurants du film, originaires du Mali ou de Côte d’Ivoire, sont actuellement menacés d’expulsion du territoire français tout en étant présent sur le territoire depuis plusieurs années, tandis que les derniers tirailleurs "sénégalais" (une quarantaine, de plus de 90 ans) pourront enfin rentrer définitivement dans leur pays d’origine sans perdre leur minimum vieillesse, après avoir servi la France, lesquels étaient jusque-là obligés de vivre la moitié de l’année en France afin de le toucher. Si peu donc de considération après autant de sacrifice...