Genre : Fantastique, drame, romance
Durée : 108’
Acteurs : Tilda Swinton, Idris Elba, Pia Thunderbolt, Aamito Lagum, Burcu Gölgedar, Nicolas Mouawad...
Synopsis :
Lorsqu’une érudite britannique invoque un djinn à Istanbul à l’aide d’une antique fiole magique, elle obtient trois vœux en échange de sa liberté. Des années d’apathie et d’isolement l’amènent à douter de ses souhaits, jusqu’à ce que le djinn, au travers de ses histoires, réveille en elle un profond désir, celui d’être aimée.
La critique de Julien
De tous les films présentés cette année-ci à Cannes (hors compétition dans son cas), "Three Thousand Years of Longing" était sans doute l’un de ceux qu’on attendait le plus de découvrir en salles, étant donné qu’il est réalisé par l’australien George Miller, c’est-à-dire le papa de la franchise "Mad Max", mais également pour l’audace de ce projet pharaonique, qui sort de l’ordinaire du divertissement. Cette romance épique, racontée majoritairement depuis une chambre d’hôtel à Istanbul, et considérée par son auteur comme une "antithèse de Fury Road", est alors adaptée d’une nouvelle de l’écrivaine britannique A. S. Byatt, "The Djinn in the Nightingale’s Eye", parue en 1994 dans un recueil du même nom...
Miller, en grand amoureux d’histoires, a coécrit celle-ci avec sa fille, Augusta Gore, sur plusieurs décennies, elle qui nous conte celle d’Alithea Binnie (Tilda Swinton), une narratologue britannique solitaire et érudite qui, en proie à d’étranges hallucinations d’êtres démoniaques, tombera sur une fiole antique (un "œil-de-rossignol") dans un bazar d’Istanbul, là où elle est invitée pour une conférence. Dans sa chambre d’hôtel, cette dernière libérera accidentellement un djinn (Idris Elba) qui y était piégé depuis bien des années. Pour l’en remercier, le djinn proposera d’accorder trois souhaits à Alithea, pour autant qu’il s’agisse de vœux que son cœur désir au plus profond. Mais Alithea, spécialiste des histoires, accusera formellement la créature surnaturelle et mythologique d’être un escroc, elle qui sait que la réalisation de vœux ne finit jamais bien. En réponse à cette accusation, celui-ci se mettra alors à lui raconter trois histoires de son passé qui ont fait de lui le djinn - plusieurs fois enfermé - qu’il est aujourd’hui, cherchant à prouver la sincérité de sa démarche...
Tandis qu’il s’est entouré une nouvelle fois ici d’une équipe proche de celle de "Mad Max : Fury Road", comme du compositeur Junkie XL, de la monteuse Margaret Sixel ou encore du directeur de la photographie John Seale, George Miller, sous un variation moderne et féministe des "Mille et Une Nuits", nous conte avec lyrisme l’histoire de ce djinn au travers de trois millénaires, en y convoitant de grandes figures de la Bible hébraïque, ou de l’Empire Ottoman, avec pour point commun que celles-ci renferment toujours une part d’amour qu’a vécue la créature avec celles dont il a exaucé les vœux, aussi guérissables que destructeurs. L’occasion pour Miller de nous en mettre plein la vue, lui qui utilise ici bien plus d’effets spéciaux qu’à l’accoutumée, parfois kitsch, étant donné une intrigue qui viole les lois de la physique, et la nécessité de reconstitution d’époques révolues, bercées par les mythes grecques, persans ou le folklore historique. Et même s’il nous gâte, on aurait cependant espéré ici de plus amples ancrages extérieurs, et surtout bien plus de créatures. Mais "3000 Ans à t’Attendre" bénéficie bien d’un imaginaire débordant, et de la virtuosité de George Miller pour mettre en scène ses séquences d’action, lui qui aime jouer sur différents plans pour animer une même scène, mais surtout avec les mouvements de caméra, tout comme avec l’ellipse (les roues d’un avion qui laissent place à des roues d’un porte-bagage, le découpage en chapitre ou sur fond noir, comme si nous fermions les yeux pour mieux les rouvrir, tout en ne perdant jamais le fil de l’histoire, etc.). Malgré cela, ne vous attendez pas à un film d’action à la "Mad Max", car ce film est avant tout une plongée narrative dans un morceau d’histoire romanesque et mythologique du Bosphore, où plus on remonte dans le temps, plus l’Histoire se révèle fantastique...
Au travers de sa mise en scène magistralement fluide et cette histoire où deux êtres confrontés à l’oubli éternel (à leur échelle et condition) vont se rencontrer, George Miller nous parle de l’importance de se raconter des histoires, de ne pas oublier l’Histoire, elle qui nous définit en tant qu’être humain. La nécessité de faire vivre notre imaginaire, et dès lors de ne pas toujours tout ramener à la science, ni à la raison est ainsi au cœur du film, à l’image de notre besoin de devoir contrôler les choses, au regard du personnage de Tilda Swinton, qui va, au travers du passé de son interlocuteur, emprisonner son destin et celui du djinn dans un futur partagé, par le biais de son premier vœux. Aussi, "3000 Ans à t’Attendre" nous dit aussi métaphoriquement que la technologie développée par l’être humain est tellement novice et bruyante pour l’écologie qu’elle est capable d’interférer avec le corps surnaturel et électromagnétique d’un Djinn, étant donné les effets dévastateurs des antennes-relais et des communications satellites (invisibles et inaudibles à l’oreille humaine) qui l’affaiblissent, de là à l’endormir, alors qu’un djinn "ne dort jamais". L’éternité s’abîme donc avec le temps et ce qu’on en fait, bien qu’elle subsistera pour encore bien des histoires, mais dont nous ne serons cependant plus les acteurs. Par l’identité du djinn et les discussions allégoriques auxquelles s’adonnent les deux protagonistes principaux, George Miller connecte alors les époques pour les faire revivre au travers des témoignages de l’existence et de la quête respective de ces deux êtres, qui ont donc bien plus en commun qu’ils ne le pensent...
Conte de fées aux vérités très profondes, et porté par Tilda Swinton et Idris Elba au service de leurs personnages, "3000 Ans à t’Attendre" ne parviendra cependant pas à satisfaire le "grand public", étant donné un ton de narration assez plat, et une mise en scène qui, si elle se regarde et s’apprécie pour son inventivité, s’écoute davantage, et s’image encore plus en hors-champ, comme si son metteur en scène nous racontait ici une histoire avant d’aller au lit. George Miller se révèle ainsi bien plus conteur (obsessionnel) qu’autre chose, loin de la furie d’un "Mad Max". Mais pour autant qu’on ose lâcher prise et s’octroyer un peu de rêverie sur fond d’histoires qu’on se raconte depuis la nuit des temps, "3000 Ans à t’Attendre" se révèle envoûtant dans sa singularité, lui qui nous emporte dans sa bizarrerie d’antan, à la fois visuellement ludique, et philosophique dans son fond.
Actuellement en tournage de "Furiosa" en Australie, lequel est le cinquième opus de la série "Mad Max", bien qu’il en soit à la fois une préquelle et un spin-off, George Miller s’est donc accordé une parenthèse bien qu’œuvre somme de son cinéma avec "3000 Ans à t’Attendre", qu’il développe (à raison) depuis de très nombreuses années. Et pour les amoureux de cinéma qui regarderont son film, autant dire qu’il s’agit là d’un joyau, une ode sereine et bienvenue à l’évasion, à côté de laquelle on ne peut passer...