Genre : Drame
Durée : 88’
Acteurs : Pablo Schils, Joely Mbundu, Alban Ukaj, Tijmen Govaerts, Charlotte De Bruyne, Nadège Ouedraogo, Marc Zinga...
Synopsis :
Aujourd’hui en Belgique, un jeune garçon et une adolescente venus seuls d’Afrique opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.
La critique de Julien
Présenté en Sélection officielle en compétition au dernier Festival de Cannes d’où il est reparti avec le Prix Spécial du 75e Festival, "Tori et Lokita" est le douzième long métrage des frères Dardenne, lesquels ne passent pas ici par quatre-chemins pour nous raconter l’histoire d’amitié indéfectible entre leurs deux jeunes mineurs exilés non accompagnés, envoyés depuis l’Afrique en Europe par leurs familles, pour prétendre, d’une part, à une vie meilleure et, d’autre part, aider les leurs, restés au pays, en leur envoyant de l’argent. Mais le destin de "Tori et Lokita", aussi dramatisé ici soit-il, c’est bien celui d’un nombre incalculable d’enfants arrivés, vulnérables, et en proie à un monde qu’ils ne connaissent pas et dont ils doivent tout apprendre, souvent par les mauvaises personnes, et cela aux quatre coins du globe, et principalement ici en Europe, chez nous, en Belgique...
Entièrement dévoué à leur scénario, sans fioriture, Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne nous emmènent alors à la rencontre de Tori et de Lokita, lesquels se sont rencontrés sur un bateau de traverse, et sont depuis devenus amis, comme s’ils étaient frère et sœur. C’est simple : l’un ne peut plus vivre sans l’autre, eux qui ont développé un besoin de connexion à l’autre dans cet enfer qu’est l’exil, telle une bouée de sauvetage, mais non plus en mer, mais bien sur terre. Car pour eux et ceux qu’ils représentent, le chemin va être long, entre quête de régularisation de leurs papiers, petits boulots pour rembourser les passeurs, ou tout simplement pour vivre, et faire vivre ceux qui les ont envoyés dans la gueule du loup, qui n’est autre que l’Europe, où violence et injustice les condamnent à leur condition d’exilés, dans nos sociétés.
Pour incarner leurs rôles principaux, les Dardenne ne se sont pas trompés, tellement l’alchimie entre Pablo Schils et Joely Mbundu est immédiate, et nous emporte tel un raz-de-marée. Bouleversants, ces deux jeunes interprètes jouent comme s’ils étaient eux-mêmes en exil. Leurs gestes (maternels), leurs mots, leurs regards échanger l’un envers l’autre, l’entraide et l’authenticité de leurs personnages sont des atouts majeurs de "Tori et Lokita", eux qui nous prennent par la main pour ne plus la lâcher. Le spectateur ne peut alors ressentir qu’une énorme empathie pour ces derniers, elle qui ne fera alors que grandir à mesure qu’ils avanceront dans leur périple, résistant aux épreuves par la force de leur amitié, leur faisant garder un semblant de dignité, face à l’indifférence ou à l’abus.
L’autre grande réussite de "Tori et Lokita", c’est bien évidemment l’urgence qui se dégage de la situation ici vécue, elle qui se reflète parfaitement au travers des péripéties des deux jeunes, où l’on sent une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Les Dardenne parviennent alors à parfaitement doser crescendo leur film de tension, sans en faire de trop. On ressent, en effet, que le danger est n’importe où, prêt à les emporter, telle une vague, et cela notamment par l’utilisation précise et (osons le dire) virtuose du cadre, la caméra des frères étant toujours positionnée de telle manière à capter notre attention, et dès lors nos émotions. À vrai dire, rien n’est laissé ici au hasard.
En d’autres termes, les frères Dardenne manient ici aussi bien la forme que le fond, dans un film actuel et redoutable, doté d’un réalisme confondant, évitant tout voyeurisme, et porté par l’interprétation totalement évidente de ses deux jeunes personnages, qui crèvent littéralement l’écran. Bref, "Tori et Lokita", en allant à l’essentiel, se révèle être l’un des meilleurs films de ses metteurs en scène.