Genre : Thriller, policier
Durée : 114’
Acteurs : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Anouk Grinberg, Thibaut Evrard...
Synopsis :
A la PJ, chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.
La critique de Julien
Précédé d’une excellente réputation depuis sa présentation à Cannes en section "Cannes Première" en mai dernier, "La Nuit du 12" est la nouvelle réalisation du metteur en scène Dominik Moll, lui qui, après avoir adapté en 2019 le roman noir "Seules les Bêtes" de l’écrivain Colin Niel (publié en 2017 aux éditions du Rouergue), s’empare ici d’un fait divers réel décrit dans le livre "18.3 - Une année à la PJ" de Pauline Guéna, publié en 2021, laquelle a passé une année en immersion dans les services de la PJ de Versailles. Ici, dès le générique d’ouverture, le ton est donné. Sur fond noir, nous apprenons que chaque année, la police judiciaire ouvre plus de 800 enquêtes pour homicide, dont près de vingt pour cent restent irrésolues. Film hanté, "La Nuit du 12" nous plonge alors dans l’une d’entre elles, pour ce qui s’avère être l’un des meilleurs films francophones de l’année.
Bien que l’auteure du livre duquel s’inspire cette histoire l’a brièvement retracée au sein de ses cinq cents pages d’écriture, il n’en a pas fallu davantage à Dominik Moll pour qu’il soit touché par celle-ci, et d’autant plus par le rapport d’un policier, Yohan, à cette affaire. Très sordide, il y est question d’une jeune femme de 21 ans, immolée par le feu en pleine rue, après avoir quitté une fête entre amies, la nuit du 12 octobre 2016. Le livre disait alors vrai, soit que chaque enquêteur tombe un jour sur un crime qui, pour une mystérieuse raison, le hante plus qu’un autre. Le cinéaste a alors trouvé en ce sujet celui de son nouveau film qui, outre que de passer son temps à trouver le nom d’un assassin, questionne intelligemment l’obsession grandissante des enquêteurs pour les crimes irrésolus, mais surtout sur "le monde d’hommes" dans lequel nous vivons, au sein duquel "quelque chose cloche entre les hommes et les femmes", lesquelles sont, dans certains et effroyables cas, victimes de féminicide...
Tandis qu’il a déjà tourné dans son précédent film, Bastien Bouillon (quelle révélation !) campe ici ledit policier, scrupuleux, lequel va enquêter sans relâche autour de cette effroyable histoire, elle qui bouscule inévitablement le spectateur. Il est, en effet, terrible de voir l’idée germer dans la tête de personnes (majoritairement des hommes) comme quoi la victime de l’histoire (Lula Cotton-Frapier) serait elle-même coupable de sa propre mort, elle qui aurait ainsi joué avec le feu, en multipliant les relations amoureuses avec des hommes toxiques. Et l’entendre dire est ici d’autant plus difficile à encaisser, à l’heure où la place, la liberté et la parole de la femme sont en plein mouvement, et travail. Or, aucun comportement libre d’individu ne devrait pourtant - ne fût-ce que l’espace d’un instant - justifier des actes de violences (dans ce cas mortel) commis à son encontre. Or, ce sont les sentiments partagés par la meilleure amie (Pauline Serieys) de la victime qui vont faire prendre au film une toute autre dimension, devant un capitaine de police totalement retourné par ses propos, comme quoi son amie serait morte à cause du fait qu’elle soit une femme. À partir de là, "La Nuit du 12" met alors le doigt sur l’atrocité du féminicide, lequel a déjà tué 61 femmes en France en 2022 (à l’heure d’écrire ses lignes), conjugaux dans leurs cas, contre 7 non-conjugaux...
S’il nous en dit donc beaucoup concernant nos représentations sur les actes des uns et des autres, et la part de responsabilité qu’on leur incombe dans ce qui peut leur arriver (ici de pire), Dominik Moll nous fait pertinemment bien comprendre ici qu’il n’accuse pas un homme, mais bien tous ceux qui seraient capable de passer à l’acte, soit ici tous ceux qui auraient croisé le chemin de la victime. Les paroles non-équivoques du personnage de Bastien Bouillon en disent d’ailleurs long sur le profil de ces hommes interrogés, lequel a ainsi l’intime conviction que si l’assassin n’a pas été trouvé, c’est parce que ce sont tous les hommes qui ont tué la pauvre demoiselle...
"La Nuit du 12" suit alors cette enquête, tortueuse, multipliant les interrogatoires et (fausses) pistes, donnant tour à tour de l’espoir et du désespoir à ses moteurs de recherche, que sont ici deux policiers, joués donc par Bastien Bouillon et Bouli Lanners. Le premier - saisissant - devrait ici trouver la reconnaissance qu’il mérite, au sein d’un rôle qui devrait aussi lui ouvrir davantage de portes et de visibilité de premier plan. L’acteur se révèle, en effet, exceptionnel, et totalement habité par son rôle, lui qui marque par sa présence, allant de son regard à ses intonations. Son personnage, tournant en rond dans cette histoire tout comme il tourne en rond dans son vélodrome, trouvera pourtant de nouveaux élans, lui donnant confiance en l’avenir, notamment grâce à l’aide fournie à l’enquête par une juge d’instruction (Anouk Grinberg) et une nouvelle collègue (Mouna Soualem). Bouli Lanners fait quant à lui preuve de toute la tendresse et la retenue qui caractérisent son jeu, dans la peau d’un collègue adjoint (Marceau) dont la tournure de l’enquête et le contexte personnel conjugal et sentimental vont le pousser vers la sortie.
Par le biais d’une ellipse bien pensée, Dominik Moll nous parle aussi des fonds dont manque la police pour réaliser correctement son travail, elle qui doit donc faire des choix, et donc renoncer. Cette dernière lui permet aussi d’appuyer avec beaucoup de réalisme le poids qui pèse sur des enquêteurs, face à des situations désespérées, qu’ils ne parviennent pas à élucider. Tout ce formidable travail d’écriture, de jeu et de direction d’acteurs est alors porté par une mise en scène chirurgicale, aux plans larges, précis et nets, donnant de l’authenticité au devoir d’enquête en cours, sans en faire de trop. La musique, au sens de la mélodie implacable, utilisant des voix inspirées des fantômes qui nous hantent, nous baigne aussi dans une étrange atmosphère, que des sursauts de luminosité viennent cependant ponctuer, face à l’horreur des faits. Quant à la photographie, accentuant la présence des paysages, entre ville et montagne, elle permet au récit, et donc à ses personnages, de respirer, et de s’élancer vers de nouveaux horizons, avec toute l’allégresse nécessaire qu’il faut parfois aller chercher pour parvenir à faire justice aux victimes d’actes ignobles et inhumains, surtout quand les preuves et réponses manquent à l’appel...
Qu’on se le dise, "La Nuit du 12" est un film immanquable, duquel on ne ressort pas indemnes, mais bien retournés. Dominik Moll et son fidèle coscénariste Gilles Marchand évitent ici les pièges du polar classique en ne focalisant ainsi pas leur intrigue que sur la recherche d’un coupable. Ils préfèrent nous imprégner de la méticulosité d’une enquête, de la manière dont elle peut se répercuter sur ceux qui la mènent, mais également sur la dure réalité du féminicide, eux qui donnent ainsi à la femme une place de choix à l’avancée de ce récit, aussi dense qu’intense. Bref, vous auriez tort de passer à côté...