Genre : Action, science-fiction, comédie
Durée : 139’
Acteurs : Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, James Hong, Jamie Lee Curtis, Jenny Slate, Harry Shum Jr....
Synopsis :
Evelyn et son mari Waymond ont une blanchisserie sur le déclin, une fille rebelle et une facture d’impôts qui semble interminable. Et c’est précisément au moment où tout devient trop difficile que l’univers se déchire en une multitude d’univers distincts. Evelyn n’est alors plus seulement propriétaire d’une laverie automatique, mais aussi star de cinéma internationale, maître de kung-fu, cheffe cuisinière ou peut-être l’héroïne dont tout le monde avait besoin depuis le début.
La critique de Julien
Attention, le phénomène américain "Everything, Everywhere All At Once" débarque (enfin) dans nos salles. Ayant débuté sa carrière au pays de l’Oncle Sam dans seulement 10 salles, jusqu’à monter à 2200, et encaisser plus de 67 millions de dollars, ce film inclassable est une comédie dramatique de science-fiction qu’il faut voir pour la croire. Réalisé par les Daniels, lesquels étaient déjà derrière le surréaliste "Swiss Army Man" (2016), dans lequel Daniel Radcliffe jouait un cadavre échoué sur une plage en proie à des flatulences incessantes, "Tout, Partout, Tout à la Fois" (titre en version française) met en vedette l’actrice sino-américaine Michelle Yeoh, dans la peau d’Evelyn, une propriétaire de blanchisserie, alors en difficulté. Insatisfaite et débordée, Evelyn n’est alors même pas capable de voir sous ses yeux les papiers de divorce que lui tend son époux Waymond (Ke Huy Quan), tandis que son père exigeant vient d’arriver de Hong Kong, et que sa fille Joy (Stephanie Hsu) essaie de lui faire accepter sa petite amie, sans oublier son contrôle d’impôt sur le revenu pour lequel elle est appelée, et reçue par Deirdre Beaubeirdre (Jamie Lee Curtis, qui joue à fond le jeu). Dans le bâtiment de l’IRS (Internal Revenue Service), Evelyn se retrouvera alors connectée à une version d’elle-même dans un univers parallèle, composant le multivers. En effet, Alpha Waymond, habitant de "l’Alphaverse", ayant pris brièvement possession de son mari à l’aide d’une technologie de saut dans les univers, lui expliquera qu’elle a été choisie afin de contrer la menace provoquée par Jobu Tupaki, anciennement Alpha Joy (ressemblant donc physiquement à sa fille), elle qui menace, avec ses sbires, de détruire le multivers en expérimentant justement cette technologie...
Devenu aux USA le plus grand succès du distributeur indépendant A24 (en termes de recette, et non de rentabilité), et tandis qu’il y ressortira fin du mois agrémenté de huit minutes de nouvelles images, "Everything, Everywhere All At Once" est sans doute l’un des films les plus originaux que l’on verra cette année, bien qu’il soit aussi très déroutant par la fantaisie de sa mise en scène, divisée en trois actes, lui qui traite de thèmes plutôt profonds, et inattendus. Par ses sauts d’univers et la rencontre avec ses autres "sois", le personnage d’Evelyn se retrouvera donc confronté à elle-même, mais également aux autres versions de ses proches, ainsi qu’à la détresse déguisée de sa fille. La manière dont les scénaristes mettent dès lors en image leurs messages est d’une bizarrerie aussi fraîche que parfois difficile d’interprétation, dans le sens où il faut s’accrocher à cette bourrasque de science-fiction à l’imagination débordante pour réussir à en extraire ses idées.
Quelle étonnante voie empruntée par les Daniels pour nous parler d’autodestruction, lorsque plus rien n’a d’importance, ou lorsque la vie est devenue d’une absurdité immorale, où encore lorsque l’on se sent suffisamment perdu et seul que pour ne plus avoir d’utilité à vivre. Oui, sous ses extravagances, le film nous parle de nihilisme, d’existentialisme, et cela par le biais de sa douloureuse relation mère-fille, et son antagoniste déguisé, lié à cette dernière. Mais il est bien question au départ d’une mère incapable d’embrasser tout l’amour et la beauté qui l’entoure, elle qui est perdue dans ses papiers d’impôts ou en conflit identitaire et culturel asiatique-américain, face à des valeurs, des pratiques et vérités qui lui échappent. Cette maman ne s’imagine dès pas lors pas une seconde le mal qu’elle fait vivre à ses proches, alors qu’ils devraient être la chose la plus importante à ses yeux, tandis qu’elle souffre, de son côté, mais de la peur de ne pas s’être accomplie dans la vie, dès lors frustrée, désespérée, voire méchante avec autrui. Mais elle finira pourtant par comprendre l’importance de son entourage, et la douleur dévastatrice de sa fille, au sein d’une quête lui échappant un temps (et on peut comprendre !), avant d’en prendre le contrôle... L’intrigue du film tourne donc autour de questions assez intenses (avec pour fondation celle de la famille), mais jamais dans la lourdeur, étant donné l’amusement avec lequel les cinéastes nous plongent dans leur film. Prenons d’ailleurs comme exemple la manière avec laquelle les personnages se connectent à un autre soi du multivers afin d’obtenir leurs compétences, eux qui doivent pour cela accomplir quelque chose d’insensé pour y parvenir. Or, Evelyn sera souvent confrontée aux sbires de Jobu Tupaki, devant ainsi redoubler de forces, venues alors d’ailleurs, pour les vaincre à leur propre jeu. A cet égard, souvent trash, voire gore, et décomplexé dans son humour (les Daniels semblent beaucoup s’amuser des sex-toys), leur film enchaîne les péripéties et confrontations, à priori sans queue ni tête et qui ne ressemblent à rien, mais avec une drôlerie insensée, lesquelles servent ainsi des propos qu’on n’avait pas vu venir.
Porté par une fantastique, épatante et émouvante Michelle Yeoh (près de soixante ans), de tous les plans, et de tous les univers, car tantôt chef cuisinière, chanteuse, maître kung-fu, star mondiale de cinéma, ou encore piñata (vous avez bien lu), "Everything, Everywhere All At Once" donne donc à voir du cinéma audacieux, ne surfant donc pas avec opportunisme et facilité sur le multivers du Marvel Cinematic Universe. Bourré d’idées d’écriture et de mise en scène, mais également de références cinématographiques, ce film est une pépite qui mélange les genres, pour accoucher d’une œuvre telle qu’on n’en avait encore jamais vue. S’il s’agit bien là d’un compliment, force est de constater que le cinéma des Daniels n’est non plus le plus accessible, lui qui passe par l’absurde pour atteindre quelque chose de fondé. Ainsi, en plus de tourner un brin en rond autour de ses idées farfelues, cette comédie noire de science-fiction nécessitera au spectateur une grande ouverture d’esprit. En effet, d’une longue minute trente où les Daniels filment deux rochers du haut d’une falaise, à un trou noir en forme de bagel, "Everything, Everywhere All At Once" n’est pas du cinéma comme on a l’habitude d’en voir, et qui risque de déstabiliser. Et c’est tant mieux !