Synopsis : Alors qu’elles sont en route pour les Gay Games de Tokyo, les Crevettes Pailletées ratent leur correspondance et se retrouvent coincées au fin fond de la Russie, dans une région particulièrement homophobe...
Acteurs : Nicolas Gob, Alban Lenoir, Bilal El Atreby, Michaël Abiteboul, David Baiot, Romain Lancry, Roland Menou, Geoffrey Couët
Cette "revanche" est une suite improbable du tout aussi improbable "Les crevettes pailletées", réalisé en 2019 par Cédric Le Gallo et Maxime Govare, et certains se souviendront de la Une étonnante de L’Equipe. Nous écrivions en conclusion qu’il s’agissait d’un road movie terrestre et aquatique, follement gay qui s’assume complètement et qui invite à la réflexion au-delà du rire sans jamais être « communautariste ». Faire une suite dans ce genre de film est difficile et casse-cou, mais Cédric Le Gallo Maxime Govare se sont jetés à l’eau pour nous proposer une suite aux aventures (mais en mode ’mésaventures’ !) de l’équipe de water-polo, une équipe de nageurs essentiellement gay et qui trouve son origine dans une véritable équipe, celle du co-réalisateur Cédric Le Gallo dont c’était alors en 2019 la première expérience dans la réalisation.
L’on retrouve ici quasiment la même équipe que pour le premier film : outre une véritable personne transgenre, Romain Brau, dans le rôle de Fred, on retiendra plusieurs noms : David Baïot, vu dans Jonas (un film Arte) et la série Ainsi soient-ils ; et surtout Geoffrey Couët, dans le rôle de Xavier. Surtout parce que l’acteur jouait un des deux rôles principaux dans le film Théo et Hugo dans le même bateau, un film qui n’est pas sorti en Belgique et dont nous posions dans notre critique la question de la carrière future des acteurs. En effet, ce film contenait de longues scènes de relations homosexuelles explicites, non simulées et sans "doublure sexe". Certes le film était interdit aux moins de 16 ans, visait plutôt un public de niche, mais cela pouvait être risqué pour les acteurs. Et c’est donc un plaisir de découvrir que sa carrière se poursuit toujours. Exit cependant Alban Lenoir, et pour cause, son personnage Jean étant décédé. Mais apparition de Bilal El Atreby, un jeune acteur qui a ici un premier grand rôle, celui d’un jeune homme que l’entraîneur Matthias (Nicolas Gob) a choisi parce qu’il fait du water-polo, vient de la banlieue et croit qu’il est un homosexuel refoulé... mais Matthias n’a pas le "gaydar" et se trompe peut-être ! Quoi qu’il en soit, la performance de Bilal El Atreby dans ce premier rôle important mérite d’être mise en exergue.
Ce que l’on ne retrouve pas en revanche, ou quasiment pas, c’est le water-polo. Il n’y a plus de scène de piscine et finie la chaleur de l’eau, car c’est à la glace et au froid que l’équipe devra faire face. Et ce n’est pas le plus grand danger, car ils débarquent malgré eux en Russie, pays homophobe s’il en est. Occasion de prendre conscience des ratonnades d’homosexuels en détournant les applications de rencontre de type Grinder (l’équivalent de Tinder pour les personnes LGBT). Et ce n’est pas tout, il y a aussi les emprisonnements et les thérapies de conversion qui ont pour objectif de faire rentrer les gays dans la "norme". On n’en dira pas plus pour ne pas spoiler outre mesure l’intrigue, tout en relevant au passage un personnage "secondaire" dans le récit (un acteur dont nous n’avons pas retenu ou relevé le nom) qui est présent dans le centre de thérapie de conversion, est francophile et conclura le film par un regard caméra (ou qui, dans notre souvenir, y ressemble beaucoup).
Ce film a les mêmes qualités (et les mêmes défauts probablement) que le premier, mais il a le mérite de mettre le doigt sur certains problèmes liés à l’homophobie. C’est d’autant plus important que celui-ci sort alors que la Russie a fait la guerre à l’Ukraine et que, justement, les scènes censées se dérouler en Russie ont été tournées en Ukraine ! Certains des acteurs ukrainiens ne sont pas nécessairement enchantés d’avoir dû endosser le rôle de Russes, mais ont été heureux de pouvoir contribuer à ce film et à sa dimension militante. Certains protagonistes ukrainiens portent maintenant les armes pour défendre valeureusement leur pays envahi.
Il aurait été impensable et impossible de tourner ce film en Russie, d’autant qu’il met le doigt où cela fait mal, l’homophobie quasiment constitutive de l’identité (mais qui, parfois, cache - comme souvent - une homosexualité refoulée !) et qui est également liée à l’attitude profondément perverse des églises chrétiennes, ici orthodoxes (mais l’on sait que ni les catholicismes, les protestantismes et les monothéismes en général, ne sont pas en reste !). Cette homophobie que l’on retrouve dans d’autres pays slaves (la Pologne, la Hongrie...) fait partie de cette vision crispée et désastreuse de l’homosexualité comme étant le mal par excellence et le signe de la décadence des sociétés occidentales. Dans des sociétés repliées sur des processus identitaires, qui ferment leurs frontières à l’autre trop différent, sociétés qui sont en baisse de natalité, il y a une peur quasiment existentielle que l’homosexualité soit contagieuse et ne vienne, en conséquence, réduire plus encore la natalité. Occasion de se dire qu’il y a encore du travail, à l’heure où parce que certains pays accueillent des Ukrainiens pour autant qu’ils soient blancs et de la "bonne religion" l’on aurait tendance à laisser de côté certains principes dont l’Europe, dans son meilleur, voulait se faire le garant.