Genre : Drame
Durée : 87’
Acteurs : Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich, Olivier Faliez, Evelyne El Garby-Klaï...
Synopsis :
Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.
La critique de Julien
Quand elle ne se promène pas avec un âne dans "Antoinette dans les Cévennes" (2020) de Caroline Vignal, Laure Calamy court après le temps dans "À Plein Temps" du réalisateur québécois Éric Gravel. Reparti de la Mostra de Venise 2021 avec les prix Orizzonti du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice, cet intense drame social est un témoin direct de la course effrénée que nous menons dans notre quotidien. L’actrice, désormais incontournable, interprète ici une mère célibataire aux épaules solides, elle qui essaie de joindre les deux bouts. Julie se débat alors pour élever ses deux enfants, seule, elle qui vit à la campagne pour leur bien-être, tout en travaillant à Paris, et cela comme première femme de chambre dans un palace, en attendant de retrouver un poste de cadre correspondant à sa formation, elle qui vient justement d’être convoquée à un entretien d’embauche... Ayant déjà des soucis de ponctualité au boulot, une grève des transports et des manifestations dans les rues de la capitale seront la source de nouvelles difficultés pour Julie, elle qui devra dès lors prendre des bus de substitution, faire de l’auto-stop et du covoiturage, et mettre ainsi sa fierté de côté, pendant que la voisine, âgée, garde ses enfants, elle qui est également désespérés par ses retards récurrents. Mais si Julie, essoufflée, souhaite respirer de nouveau, il lui faudra s’absenter en cachette de son travail pour ses entretiens, elle qui, financièrement, ne peut pourtant pas prendre le risque de le perdre...
Laure Calamy est de tous les plans et de tous les instants dans ce film éprouvant, étouffant, mais rendu terriblement humain par son interprète, saisissante de puissance de jeu. Investie, on sent l’actrice totalement habitée par son personnage, soit celui d’une mère qui fait du mieux qu’elle peut, tout en essayant de garder un semblant de vie et de dignité, laquelle sera pourtant bafouée par un train-train quotidien ne lui laissant aucun répit, dans un monde où tout va à du mille à l’heure, et sans attendre. Le spectateur est alors subjugué par l’évolution de son jeu, elle dont le visage épouse une inquiétude palpable et grandissante, témoignant d’un aller simple vers un point de non-retour. La psychologie de Julie ne parle alors que d’elle-même, sans qu’elle n’ait pourtant besoin de parler. On en vient alors à ressentir une tiédeur au travers de cette femme, qui ne sait même plus à quoi elle peut encore se rattacher sans être écrasée de toute part. Mais surtout, l’empathie est grande pour cette maman, perfectionniste, qui se déshumanise au rythme que la société la déshumanise, elle qui se débat, malgré elle, contre un ennemi commun, à savoir la violence sournoise de notre mode de vie, qui nous en demande toujours un peu plus, de jour en jour. Le spectateur est alors sur le qui-vive des émotions de Julie, dont on ignore la réaction d’après, quitte à imaginer le pire, par exemple à l’approche d’un train. Et même quand vient une rare bonne nouvelle, il n’est pas certain qu’elle en soit bien une... Tous ces ressentis résultent d’une part du jeu implacable de Laura Calamy, réussissant à capter notre attention sans jamais la lâcher, et d’autre part de la réalisation de son metteur en scène.
Au cœur de l’action, "À Plein Temps" ne laisse aucun temps mort à son héroïne des temps modernes, le spectateur étant sans cesse bousculé à ses côtés. Éric Gravel multiplie en effet divers mouvements de caméra fluides ou saccadés, en travelling ou en zoom, en restreignant ou en élargissant la focale de son objectif, et tout cela afin de témoigner au mieux de l’état d’esprit de ce personnage, qui finit par avancer en pilotage automatique, sur les rotules. Aussi, le cinéaste filme le métier de femme de chambre avec tous les gestes chirurgicaux et répétés que cela demande, ce qui reflète particulièrement la performance que demande ce métier, au regard de celle dans laquelle vit ici son personnage. Enfin, la musique électronique d’Irène Drésel épouse à merveille le rythme de vie de Julie, répété et anxiogène, au travers duquel se joue une urgence haletante. On invite donc ceux tous qui croient que le cinéma social est ennuyeux à se rendre en salle pour découvrir cette bombe à retardement...