Genre : Thriller, drame
Durée : 117’
Acteurs : Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf, Mina Yasmin Bremseth Asheim...
Synopsis :
Dans la quiétude d’une banlieue assoupie par l’été nordique, quatre enfants se découvrent d’étonnants pouvoirs qu’ils convoquent innocemment dans leurs jeux, loin du regard des adultes. Leurs distractions prennent peu à peu une tournure inquiétante.
La critique de Julien
Et si, en l’espace de deux films, le réalisateur et scénariste norvégien Eskil Vogt était devenu un cinéaste incontournable du cinéma européen ? Du moins, on ose et on souhaite le croire, tout d’abord parce qu’il a co-écrit avec Joachim Trier le sublime film de ce dernier "Julie (en 12 Chapitres)"/"The Worst Person in the World", grand prix de l’Union de la Critique de Cinéma belge 2022, et parce qu’il vient de dévoiler, dans un tout autre genre, le thriller glaçant "The Innocents", dans lequel, durant un été nordique, un groupe d’enfants se découvre de mystérieux pouvoirs, hors de la vue et de la portée de leurs parents, jusqu’à ce que leurs nouveaux jeux tournent mal, et prennent ainsi une toute autre tournure...
Présenté en section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021, où il a fait sensation, "The Innocents" débute ainsi par l’arrivée d’un jeune couple et de leurs deux fillettes, Ida (Rakel Lenora Fløttum) et Anna (Alva Brynsmo Ramstad), dans une banlieue, où ils emménagent. Alors que sa sœur aînée est autiste et lourdement handicapée, Ida, interloquée, intriguée, la testera alors à plusieurs reprises, elle qui semble insensible à la douleur, et cela en la pinçant, ou en glissant des morceaux de verre dans ses chaussures. Aussi, elle se liera alors d’amitié avec ses petits voisins, Ben (Sam Ashraf) et Aïsha (Mina Yasmin Bremseth Asheim), issus de milieux modestes, et de l’immigration. Ben lui montrera alors qu’il est capable de soulever et jeter des cailloux par la pensée, tout comme de briser des morceaux de bois. Étrangement, Aïsha parviendra à communiquer par télépathie avec Anna, retrouvant ainsi (difficilement) la parole, bien que ce soit en réalité Aïsha qui parle à la place d’Anna, à travers son corps. Les jeunes enfants s’essayeront alors à diverses expériences, dont les conséquences se feront vite ressentir...
Récompensé du prix de la critique et du public au Festival international du film fantastique de Gérardmer 2022 pour ce film, Eskil Vogt questionne intimement ici l’enfance, au moment où elle ignore encore toute notion de morale, et de limite, et dès lors en pleine expérimentation, n’ayant pas encore appris la frontière entre le bien et le mal, en témoigne une abominable scène de torture envers un chat, d’une cruauté infinie, même si ces petits protagonistes ne s’en rendent compte. Le cinéaste n’a dès lors pas peur de déranger les consciences, avec ces enfants encore inconscients de la portée de leurs actes, sans qu’ils n’aient encore acquis la notion d’empathie, qui doit donc encore leur être apprise. Ce que nous dit Eskil Vogt, c’est que nous ne naissons pas avec des repères moraux établis, et que ces derniers doivent être inculqués. Or, ici, c’est manifestement par eux-mêmes que ces quatre jeunes en découvriront. Aussi, le cinéaste nous parle de l’innocence et de sa perte, à hauteur de l’enfance. Depuis sa naissance, l’être humain - et donc ici l’enfant - ne fait en effet que des erreurs et des bêtises, lui qui est en perpétuel apprentissage, en pleine découverte d’instincts, de pulsions. Mais est-ce que cela signifie-t-il qu’il est fondamentalement dangereux, ou plutôt une victime ? Ainsi, jamais, dans le film, nous ne sommes capables de porter un jugement sur ces jeunes personnages, situés en zone grise. C’est dès lors l’une des forces du film, soit celle de parvenir à faire transgresser ses pertinentes questions au travers d’un film de genre, déstabilisant, et sans pour autant abuser d’effets, loin d’être envahissants, et même plutôt mesurés, voire .
Baigné de science-fiction et d’horreur, "The Innocents" est également un film d’ambiance, qui nous immerge dans la tête de petites têtes blondes, agissant au premier degré. Avec sa photographie clinique, une caméra filmant des plans complexes et précis, une bande-originale épurée et un travail du son méticuleux, Eskil Vogt parvient ainsi à injecter une inquiétude grandissante chez le spectateur, et une part énigmatique à son film, surtout lorsqu’il filme le ténébreux monde parallèle au travers duquel les pouvoirs des enfants semblent se connecter entre eux. D’ailleurs, l’une des scènes, où Ida semble être poursuivie par des ombres dans un bois, fait très froid dans le dos. On comprend d’ailleurs que la transition opérée ici entre le milieu urbain et la nature qui encercle cette histoire est une métaphore à la capacité de ces enfants à passer d’un visage à l’autre, et tout cela sans que l’adulte ne s’en rende compte. Enfin, le film ne serait pas la réussite qu’il est sans le jeu de ses jeunes interprètes, intrigants, dont la petite Rakel Lenora Fløttum, au visage d’ange démoniaque, dont le jeu et le mystère nous rappellent ceux de l’actrice Milly Shapiro, vue dans le film "Hérédité" (2018) d’Ari Aster...
S’il est subtil, "The Innocents" tire cependant un petit peu sur la corde sensible de notre patience, étant donné une mise en scène parfois ésotérique, dont on ne comprend pas toujours les aboutissements. Aussi, il faut accepter ici une part de fantastique assumé, étant donné des super-pouvoirs à la "X-Men", développés par les enfants d’une manière dont on ignore encore ici les raisons. Qu’importe, Eskil Vogt parvient à offrir une image et une vision inédites aux jeux d’enfants, bien que surréalistes, et cela à proximité d’un bac à sable...