Genre : Drame
Durée : 112’
Acteurs : Anaïs Uldry, Amandine Golay, Amélie Tonsi, Kassia Da Costa, Sara Tulu, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy...
Synopsis :
Au cœur d’un foyer d’accueil, des adolescentes sont encadrées par des éducateurs. Comme dans une famille, elles ne se sont pas choisies et vivent sous le même toit. Cette expérience « familiale » forcée crée des tensions au cœur de l’intime. Lorsqu’un incident met le feu aux poudres, c’est tout un système rétrograde qui se révèle au grand jour. Un drame social où les démons de La Mif dévoilent les failles de l’éducation institutionnalisée.
La critique de Julien
Bayard d’Or du Festival international du film francophone Namur 2021, "La Mif" est le troisième long du cinéaste suisse Fred Baillif, lequel a obtenu son diplôme d’éducateur de jeunesse et travaillé dans un centre de détention pour jeunes, avant que sa passion pour le cinéma ne le rattrape. Tandis qu’on lui doit également quatre documentaires, et une volonté de ne s’entourer que d’acteurs non-professionnels, le réalisateur a réussi à goupiller ici son travail d’aide à la jeunesse et son amour pour le septième art.
En effet, "La Mif" fait partie de ces films qui nous prennent doucement par la main pour alors ne plus nous la lâcher, avant de monter jusqu’au cœur, pour le serrer (très) fort. Fred Baillif met ici en scène un drame social qui explose d’authenticité, et de force(s). Tandis qu’il y filme successivement le portrait de sept jeunes femmes qui partagent leurs joies, leurs peines et surtout les raisons qui les ont poussé à se retrouver en foyer pour femmes, le réalisateur nous parle de vécu, et met en lumière un système de protection de la jeunesse défaillant, au travers duquel des éducateurs tentent de faire leur boulot, tout en n’ayant cependant pas toutes les clefs, ni les armes pour y parvenir, et en devant en plus faire face à une police des foyers qui manque à son rôle, notamment inefficace quant à la question de la sexualité, car toujours bloquée sur des schémas dépassés. Or, le portrait de ces jeunes femmes actuelles fait souvent écho à des violences et abus sexuels, devant lesquels le système de protection de la jeunesse fait pourtant déni, plutôt que d’apprendre la sexualité, préférant systématiquement condamner plutôt que de se questionner sur la répression et l’interdit, de se remettre en question devant la perpétuelle évolution des mentalités, de la jeunesse, incarnée alors ici par sept actrices sans (pratiquement) aucune expérience de cinéma.
Fiction filmée tel un documentaire, "La Mif" (verlan de "famille") étonne par la sincérité de jeu de ces jeunes femmes, que l’on croirait ainsi jouer leur propre rôle, alors qu’il n’en est rien. Aussi, les dialogues sonnent d’une justesse incroyable, et rebondissent avec pertinence et émotion sur les enjeux des différents segments que filme ici Fred Baillif. Bien qu’on ait l’impression que le cinéaste se contente de mettre en scène différents - et bouleversants - portraits de femmes au sein d’un même foyer d’accueil autour de la problématique de la sexualité mise sous couvercle par ses autorités, Fred Baillif parvient à astucieusement donner sens à son choix de mise en scène, et cela au cours d’un dernier acte, au travers duquel on se rend compte que la chronologie choisie n’était pas anodine. Celui-ci est alors centré sur Lora, la directrice du foyer, jouée ici par Claudia Grob, avec laquelle Fred Baillif avait travaillé en tant que stagiaire dans le cadre de ses études. On découvre alors, stupéfait, une autre lecture d’images vues précédemment, et cela avec encore plus de pertinente, de fougue, d’émotion qu’elles en avaient déjà. Or, une fois de plus, on tombe des nues devant la qualité de jeu de ces actrices autodidactes, dont Claudia Grob, et son parlé, ses réflexions muries et nourries de sentiments profonds, elle dont le rôle dévoué et la position centrale dans ce récit choral ne peuvent ici que nous subjuguer, nous intéresser, sans parler de la psychologie de son personnage, à l’engagement émotionnel plus qu’investi, bien qu’au départ fragilisé (on découvrira pourquoi). Quant aux demoiselles dont elle s’occupe (avec des collègues trop à cheval sur la loi et trop pédagogiques dans leur approche), celles-ci témoignent, malgré leur situation précaire, d’une joie de vivre intacte, d’amour, d’entraide, et d’humanité, pourtant chamboulée, frappée, volée en pleine adolescence, en pleine éducation, que les éducateurs tenteront alors ici de poursuivre, tant bien que mal, et notamment face à leurs nombreux dérapages. Autant dire que "La Mif" finit donc par capter toute notre attention et notre adhésion, même si, de prime abord, nous n’étions pas spécialement réceptifs à cet enchaînement d’histoires de vie dans un refuge, ainsi qu’aux profils de ces filles, parfois brutes de décoffrage, et vulgaires.
En plus donc de filmer ce qui régit une telle institution et ce qui n’y fonctionne plus, Fred Baillif parvient à donner vie à une histoire au sein des différentes histoires partagées (et très dures pour certaines), et cela avec une véracité de propos qui dépasse l’entendement. On est alors happé par cette "mif", par cette famille au naturel confondant, elle qui tente de garder le cap, sans trop savoir où elle va, mais en y allant quand même, malgré les incohérences du milieu et d’une société qui l’entourent, et qui l’empêchent de rester unie...