Genre : Drame, thriller
Durée : 104’
Acteurs : Jérémie Renier, Alma Jodorowsky, Emmanuelle Bercot, Félix Maritaud, Peter Van den Begin, Sam Louwyck, Zacharie Chasseriaud...
Synopsis :
Un célèbre homme politique est accusé d’avoir tué son épouse retrouvée morte, une nuit, dans leur chambre d’hôtel à la Mer du Nord. Est-il coupable ou innocent ? Personne ne le sait. Et peut-être lui non plus.
La critique de Julien
Pour son quatrième long métrage, le réalisateur, scénariste et consultant football belge Stephan Streker s’empare d’un nouveau fait divers ayant défrayé la chronique. Après avoir librement mis en lumière dans son précédent film "Noces" le meurtre d’honneur de la jeune belgo-pakistanaise Saida Sheikh, tuée par son frère suite à son refus d’épouser l’homme que sa famille lui avait destinée, "L’Ennemi" met en scène très librement également l’affaire Bernard Wesphael, cet homme politique belge francophone, écologiste de gauche, soupçonné d’avoir assassiné son épouse, Véronique Pirotton, dans un hôtel d’Ostende en 2013, mais acquitté en octobre 2016 au bénéfice du doute. Ce même doute qui habite son nouveau film, "L’Ennemi"...
D’emblée, "l’ennemi" du titre du film n’est pas un "ennemi" dans le sens classique du terme, mais bien l’être humain lui-même, sa propre personne, à laquelle devra faire face ici Louis Durieux (Renier), jeune député libre de la classe politique accusé alors d’avoir assassiné sa femme Maeva, dans leur chambre d’hôtel. Sauf qu’il l’a découverte à son réveil, inanimée, dans la salle de bain, elle qui se serait suicidée en se plaçant un sac en plastique sur sa tête. Sauf que Louis n’a pas l’intime conviction de ne pas en être responsable, directement, mais aussi indirectement, eux qui vivaient des temps compliqués vis-à-vis de leur couple...
Tandis qu’il aime s’inspirer de faits réels afin que le public en fasse son propre avis via les faux événements - "le substrat" - qu’il en raconte, Stephan Streker condamne assez rapidement pourtant son personnage principal sur l’autel de la presse, persuadée qu’il est le responsable idéal de cette disparition tragique, sans qu’il n’existe pourtant de preuve irréfutable des faits retenus contre lui. Le réalisateur questionne alors ici sur la culpabilité ou non du personnage principal, et de notre regard sur ce dernier, alors que personne n’a été témoin de ce qui s’était réellement passé, sauf peut-être nous, mais uniquement via des disputes du couple (et de quelques instants enregistrés par vidéos de surveillance). Cela fait-il pour autant du veuf un meurtrier, lui qui n’a d’autant plus pas fait valoir son immunité parlementaire lors de son arrestation ? Si les soupçons sont ainsi volontairement ici éveillés chez le spectateur, sa culpabilité ne fait pourtant aucun doute pour le monde fictif entourant cette histoire, excepté pour les proches de Durieux, tel que pour son fils Julien (Zacharie Chasseriaud, pour la seconde fois devant la caméra du cinéaste) ou son avocate, Maître Béatrice Rondas (Emmanuelle Bercot).
En appuyant cette idée de jugement intempestif et souvent infondé, "L’Ennemi" joue beaucoup entre mensonge et vérité dans sa mise en scène. Le film nous invite à découvrir deux réalités possibles de ladite dernière soirée de la victime, et de la découverte de son corps. Par les moyens qu’offrent le cinéma, Stephan Streker transforme alors ce qui semblait être la réalité des faits par le souvenir déformé et incertain que certains peuvent en avoir, et principalement ici Durieux. Incapable de se souvenir de ce qu’il s’est réellement passé ce soir-là, et victime d’une paranoïa, il sera psychologiquement amené dans ses rêves à revivre les événements (à moins que ça ne soit la vérité ?), alors que l’intrigue, elle, avance (lentement), en cellule, où Durieux rencontrera Pablo (Félix Maritaud). Même si ce jeu est ludique, il le devient beaucoup moins lorsque le personnage se retrouve en prison, où il fera des rencontres, confidentes, mais sans grand nouvel impact scénaristique. Cependant, ce passage permet au film de poser un regard (un peu facile) sur la Belgique d’aujourd’hui, où ses ministres ne parlent pas tous les deux langues, et où des erreurs de traduction de langue peuvent avoir des conséquences insoupçonnées. On souligne aussi ici la ville d’Ostende filmée comme jamais auparavant.
Une fois l’intrigue déballée et l’idée derrière toute cette mise en scène bien comprise, "L’Ennemi" n’a, malheureusement, guère plus grand-chose à offrir, tournant un peu en rond, à force de va-et-vient, de flash-back hallucinés ou non, ou de scènes plus oniriques, voire cauchemardesques où Louis et/ou Maeva portent un masque (reproduit) de James Ensor, eux que l’on croise également dans un musée, les exposant. Une manière plutôt originale ici de soulever la question de la personne qui se cache réellement derrière un masque. Mais au contraire de "Noces", "L’Ennemi" manque de ressorts, de personnalité, et d’empathie vis-à-vis de son personnage principal, ambigu, et pourtant très bien joué par Jérémie Renier, très amaigri, mais qui ne dégage que peu ses émotions. On est aussi déçu de ne pas en apprendre davantage sur Maeva, portée la sublime et spectrale Alma Jodorowsky, la caméra étant centrée de manière omniprésente sur le conflit intime de celui qui sera ici pointé du doigt.
Si l’on salue l’exercice assumé auquel nous confronte Stephan Streker, lequel ne prend lui-même pas position sur les faits, on en reste pour autant extérieur, étant donné un récit qui nous invite à douter, mais qui le fait en vaguant dans sa propre idée, sans jamais pleinement satisfaire, ni livrer des clefs de solution...