Genre : Thriller, drame
Durée : 140’
Acteurs : Bradley Cooper, Cate Blanchett, Willem Dafoe, Toni Collette, Richard Jenkins, Ron Perlman, Rooney Mara, David Strathairn...
Synopsis :
Alors qu’il traverse une mauvaise passe, le charismatique Stanton Carlisle débarque dans une foire itinérante et parvient à s’attirer les bonnes grâces d’une voyante, Zeena et de son mari Pete, une ancienne gloire du mentalisme. S’initiant auprès d’eux, il voit là un moyen de décrocher son ticket pour le succès et décide d’utiliser ses nouveaux talents pour arnaquer l’élite de la bonne société new-yorkaise des années 40. Avec la vertueuse et fidèle Molly à ses côtés, Stanton se met à échafauder un plan pour escroquer un homme aussi puissant que dangereux. Il va recevoir l’aide d’une mystérieuse psychiatre qui pourrait bien se révéler la plus redoutable de ses adversaires...
La critique de Julien
Le nouveau Guillermo del Toro, c’est le genre de film dans lequel il faut se laisser plonger pour en apprécier toute la richesse, surtout visuelle. Le cinéaste mexicain adapte ici le seul roman traduit en français de l’écrivain américain William Lindsay Gresham, intitulé "Le Charlatan" (1946), et déjà adapté par Edmund Goulding en 1947. "Nightmare Alley" nous embarque alors en 1939, à la rencontre d’un bonimenteur (Bradley Cooper), hanté par ses démons, et dont l’ascension sera aussi spectaculaire que sa chute, prédestinée...
Le film débute alors avec Stanton Carlisle (Bradley Cooper), brûlant sa maison située dans le Midwest, après y avoir mis un corps dans un trou. Ayant quitté les lieux, il croisera la route d’un cirque itinérant, où il sera embauché comme homme à tout faire, lequel sera alors troublé par la façon avec laquelle le propriétaire des lieux, Clem Hoately (William Dafoe), créé des geeks, c’est-à-dire des hommes alcooliques ou des toxicomanes alors attirés avec des promesses d’emploi temporaire, Clem utilisant leur dépendance en les droguant davantage, afin d’en abuser jusqu’à ce qu’ils sombrent dans la folie et dans la dépravation, créant ainsi des monstres pour son cirque. Il se lira sur place avec la clairvoyante "Madame Zeena" (Toni Colette) et son mari alcoolique, Pete (David Strathairn), lequel lui enseignera tout l’art de la fausse télépathie et tout ce qui va avec, tout en l’avertissant des dangers du mensonge, surtout lorsqu’il est question de "parler" aux revenants, et de faux espoirs donnés aux gens. Il rencontrera également la timide et naïve Molly (Ronney Mara), avec laquelle il décidera de quitter les lieux, pour monter un spectacle. Deux ans plus tard, à New York, alors qu’ils y font sensation, Stan rencontrera la mystérieuse Lilith Ritter (Cate Blanchett), psychologue, lequel, poussé par l’appât du gain, enfreindra une règle que Pete lui avait pourtant déconseillé de franchir...
Après l’Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur pour "La Forme de l’Eau" (2017), Guillermo del Toro s’insinue dans les méandres des pensées d’un homme, mais dont on devine assez rapidement les tenants et les aboutissants. C’est d’ailleurs sans doute dans sa lecture première que "Nightmare Alley" risque de décevoir, étant donné qu’il n’y est finalement question que d’un charlatan qui va tomber dans son propre piège, victime d’un destin qui semblait tout tracé, et auquel il ne pouvait ainsi échapper. Mais le cinéaste se révèle être un bon conteur d’histoires d’âmes damnées, d’autant que celle-ci est mise en scène dans un emballage qui vaut plus que le détour, et bénéficiant d’un casting aux petits oignons, Bradley Cooper en tête d’affiche, pour le plus dangereux des spectacles, alors entouré de plusieurs femmes, aussi amoureuses que machiavéliques.
Visuellement, "Nightmare Alley" est un bijou de tous les instants, l’intrigue nous immisçant dans un cirque itinérant de la fin des années trente, avant de filmer la ville de New York et son architecture, et cela avec autant de classe pour ses intérieurs que d’âpreté pour ses extérieurs. C’est qu’on y ressent d’une part la rudesse qu’était celle de vivre dans un cirque en ces temps-là, et d’autre part le luxe de la haute classe sociale new-yorkaise du début des années quarante, alors qu’un certain "Allemand aux airs de Charlie Chaplin venait d’envahir la Pologne". Les décors de Tamara Deverell, les costumes de Luis Sequeira et la photographie de Dan Lausten forment sans doute ici ce qu’on pourra voir de plus beau et d’inquiétant cette année-ci au cinéma. Et on n’a pas peur de s’avancer avec ces mots ! Malheureusement, "Nightmare Alley", à trop soigner ses apparences, en oublie sans doute la profondeur enfouie du roman de William Lindsay Gresham, que ça soit sur l’étude de la condition humaine que du monde du showbiz. Guillermo del Toro en livre alors une somptueuse lecture, mais sans doute trop appropriée, et se regardant de a à z pour autant qu’on accepte de s’y perdre, au regard des ruelles qu’empruntera cet homme, ayant pioché une mauvaise carte au tarot, symbolisant alors le malheur, et un choix. Il manque ainsi un semblant de vie, de sentiments partagés, d’empathie dans cette funeste histoire, où il n’y a de place que pour les ténèbres, et dont on ne ressort finalement pas avec le sentiment d’avoir appris, ou vécu quelque chose d’important, malgré la machination vorace d’un homme à laquelle il n’aura pas su dire stop, comme s’il était finalement né pour ça, avant d’en être englouti... N’en déplaise, les effets de genre (si précieux de son réalisateur), son incroyable casting et sa beauté formelle font de "Nightmare Alley" une réelle œuvre d’art, mais pas un chef-d’œuvre du cinéma.