Genre : Comédie musicale, drame, biopic
Durée : 115’
Acteurs : Andrew Garfield, Alexandra Shipp, Bradley Whitford, Judith Light, Robin de Jesús, Vanessa Hudgens...
Synopsis :
À l’approche de ses 30 ans, un jeune compositeur prometteur jongle entre l’amour, l’amitié et l’envie de réussir quelque chose de grandiose avant qu’il ne soit trop tard.
La critique de Julien
On ne pouvait pas mieux commencer l’année cinématographique sans regarder "Tick, Tick... BOOM !" de Lin-Manuel Miranda, qu’on se devait donc de rattraper. À moins qu’on ait fait exprès de garder le meilleur pour la débuter ? En tout cas, c’est à notre plus grand regret que cette comédie musicale a débarqué directement sur Netflix, adapté de l’œuvre semi-autobiographique du même titre du défunt Jonathan Larson, compositeur et parolier américain parti trop tôt. Et qui ne mieux que Lin-Manuel Miranda, la figure majeure du nouvel âge d’or de la comédie musicale américaine, pour mettre en scène le début de carrière de Larson, lui qui était promis à un avenir certain dans le domaine, lequel a d’ailleurs rencontré un énorme succès avec sa comédie musical "Rent", jouée pendant douze ans, bien qu’il soit décédé d’un anévrisme aortique la veille de la première représentation de son spectacle (tel que révélé au début du film), pour lequel il a d’ailleurs reçu trois Tony Awards, ainsi que le prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale, à titre posthume.
Vu et entendu récemment dans "Le Retour de Marry Poppins" de Rob Marshall dans la peau du ramoneur, lui à qui l’on doit notamment les comédies musicales "Hamilton" et "In the Heights" (cette dernière ayant d’ailleurs été adaptée cette année-ci au cinéma par Jon Chu), Lin-Manuel Miranda s’intéresse donc ici avec hommage et puissance à la carrière si prometteuse de ce prodige, joué à l’écran par Andrew Garfield. "Tick, Tick... BOOM !" nous emmène alors en 1992, alors que Jonathan Larson interprète son monologue rock du même nom au New York Theatre Workshop, accompagné de ses amis Roger (Joshua Henry) et Karessa (Vanessa Hudgens), lequel décrit alors un tic-tac incessant qu’il entend dans sa tête, ce qui l’amène à raconter le début de son histoire. Celle-ci commence alors deux années plus tôt, alors qu’il jongle entre son travail au Moondance Diner de SoHo et la préparation d’un projet de comédie musicale, baptisé "Superbia", lui qui se sent alors obligé d’accomplir quelque chose de grand avant ses trente ans (dans une semaine), en guise de dernière chance, donc, même s’il est persuadé là d’écrire la prochaine grande comédie musicale américaine. Mais Jonathan ressentira une pression de toutes parts, entre sa petite amie Susan (Alexandra Shipp), qui rêve d’une vie artistique au-delà de New York, son ami Michael (Robin de Jesús), qui est passé de son rêve de comédien à une vie de sécurité financière, le tout alors au milieu d’une communauté artistique ravagée par l’épidémie de Sida. Une course contre la montre débutera alors pour Jonathan, censé faire des miracles avec le peu de temps dont il dispose...
Quelle petite merveille que ce film d’une générosité sans faux-semblants, mené tambour-battants par Andrew Garfield, qui habite et transcende son rôle comme si c’était le dernier. L’acteur, particulièrement investi, donne parfaitement de la voix, comme si les chansons qu’il chantait ici avait été écrites par lui-même, alors que ces dernières ont toutes été écrites par Jonathan Larson. Le film de Lin-Manuel Miranda dérive donc ce qui fut sans doute un passage à vide vécu à cent à l’heure par Larson, bien que certains événements décrits soient partiellement romancés, ce qui est dit au début du film, avec des parties de l’histoire que "Jonathan a inventé". Car "Tick, Tick... BOOM" inclut des segments supplémentaires à la création de "Superbia", amenés ici après de longues recherches par Miranda lui-même, et le scénariste Steven Levenson.
Le film nous parle alors du procession de création d’une œuvre artistique, des sacrifices qu’elle appelle, mais surtout du temps qui passe et de la course effrénée que l’on se lance pour n’en louper aucun moment. Et tout comme Larson, Lin-Manuel Miranda est un féru de travail, lequel connaît donc bien cela. Mais tandis qu’il se projette humblement au travers du travail de Jonathan Larson, le metteur en scène n’en profite aucunement pour parler de lui, laissant son ego au placard, pour faire alors revivre l’œuvre de Larson, avec une intensité folle. Le montage de son film - et de l’histoire qu’il adapte - traduit dès lors cette fièvre qui monte, et qui monte, pour ne s’arrêter alors qu’après ladite représentation, qui en appellera beaucoup d’autres. Défendu corps et âme par Andrew Garfield (qui mérite amplement un Golden Globe, et, soyons fous, un Oscar), "Tick, Tick...BOOM !" est rythmé et dense comme la vie, mais également dur, interrogatif, mais terriblement sincère. Il s’en dégage alors une émotion palpable, qui nous traverse et nous habite longtemps après la vision du film.
Sans fausses notes, on est également ravis de découvrir les titres composés par Jonathan Larson et chanté par Andrew Garfield, de "30/90" à "Boho Days", en passant par l’excellentissime "Therapy", sans compter sur les interprétations de Joshua Henry et Vanessa Hudgens, qui accompagnent l’acteur lors du monologue rock de son personnage, en 1992. Il y a aussi la jolie prestation de Robin de Jesús (lequel a joué au théâtre dans "In the Heights"), dans la peau du meilleur ami de Jonathan, leur amitié étant en plus forte et nostalgique à la fois.
Lin-Manuel Miranda ne manque alors pas d’idées pour orchestrer l’histoire et l’œuvre de Larson, mais également ses acteurs. Imaginatif, et d’une classe absolue, son film est d’une fluidité assez étonnante, malgré des allers-retours incessants entre deux temporalités, certes par très éloignées sur l’échelle du temps, mais vécues bien différemment par son principal intéressé. On ressort dès lors de "Tick, Tick... BOOM !" non pas rincés, mais avec une énergie folle, et surtout le sentiment d’avoir vu là un film inspirant, réalisé avec beaucoup d’humilité et de considération, ainsi que de savoir-faire prometteur, alors que son réalisateur était pourtant novice en matière de mise en scène cinématographique. En d’autres termes, on a pris là une sacrée baffe, largement consentie, certes, et attendue (il faut bien le reconnaître). Et on est d’autant plus enchanté par le film par le fait qu’on est persuadé qu’il ne parlera pas qu’aux amateurs de comédie musicale (même si certains passages - et notes - risquent d’en irriter quelques-uns).