Signe(s) particulier(s) :
- le film a été tourné à Sylva, une petite ville montagnarde de l’ouest de la Caroline du Nord (Ebbing étant fictive) ;
- c’est le mari de Frances McDormand, Joen (l’un des frères Coen), qui a convainc l’actrice d’accepter le rôle, elle qui se sentait trop vieille pour ce dernier ;
- présenté à la Mostra de Venise 2017 où il remporte le Prix Orsella du meilleur scénario, le film ne cesse d’être récompensé à travers le monde (en attendant les Oscars), et encore tout récemment de 4 Golden Globes (meilleur film dramatique, meilleure actrice dans un film dramatique pour Frances McDormand, meilleur acteur dans un second rôle pour Sam Rockwell, meilleur scénario).
Résumé : Après des mois sans que l’enquête sur la mort de sa fille ait avancée, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant un message controversé sur trois grands panneaux à l’entrée de leur ville, visant le très respecté chef de la police, William Willoughby. Lorsque Dixon, l’officier en chef — au fort penchant pour la violence — s’implique dans l’histoire, la lutte entre Mildred et les forces de l’ordre racistes et corrompues de la petite ville d’Ebbing prend un virage quelque peu dangereux, et inattendu...
La critique
Autant dire dès le départ qu’on n’attendait pas le réalisateur britannique Martin McDonagh aussi haut ! Après son premier film très réussi "Bons Baisers de Bruges" (2008) et son moins bon "Sept Psychopathes" (2012), le voilà de retour avec son troisième effort, celui qui vient confirmer ou non la naissance d’un auteur, après un second tout logiquement décevant (c’est rarement l’inverse à Hollywood). Dans son cas, ce film (au génial titre original à rallonge) lui permet maintenant d’embrasser le statut de réaliser dorénavant convoité, tant ce "3 Billboards : les Panneaux de la Vengeance" (sale titre en version française, qui ne reflète pas les enjeux du film) est une bénédiction à bien des niveaux.
Nous voilà donc à Ebbing, une petite ville tranquille (en apparence) d’Amérique profonde, où ses habitants sont pourtant gangrenés par le racisme et l’homophobie, et où chacun d’eux tente de se faire une place dans la société. À Ebbing, tout le monde se connaît, et le moindre fait et geste de l’un où l’autre fait vite le tour du patelin. Tout le monde est donc au courant du meurtre et du viol (par un inconnu qui rôde toujours) de la fille de Mildred Hayes (Frances McDormand), sauf que tout le monde semble aussi avoir fermé les yeux dessus, essayant de passer à autre chose, tout en supportant la peine de la famille concernée. Mais plusieurs moins après sa disparition, Mildred, la faute à une enquête qui piétine, va afficher trois messages provocateurs à destination du chef de la police William Willoughby (Woody Harrelson) sur des immenses panneaux publicitaires placés à l’entrée de la ville, chose qui va bousculer toute la communauté existante, et que peu de monde va tolérer, dont Willoughby, forcément, mais surtout Dixon, l’officier en chef (Sam Rockwell). Sauf que Mildred, souhaitant relancer l’enquête autour de la mort de sa fille, ne se doute pas une seule seconde de tout le remue-ménage que son coup va engendrer...
Dès ses premiers plans, la caméra du réalisateur nous permet de nous immerger et de ressentir l’atmosphère régnant dans cette ville, où ses habitants sont distancés, et où tout le monde semble se méfier des uns des autres, où les forces de l’ordre sont davantage occupées à tabasser des personnes de couleurs, d’arrêter un gamin qui fait du skate-board où encore un tiers possédant "deux gros joints de marijuana", plutôt que de se concentrer davantage sur une enquête autour d’un meurtre, pour lequel la famille attend toujours des réponses. Sauf que parfois, les indices manquent à l’appel, les empreintes ne correspondent pas où sont effacées (la jeune fille a été brûlée), etc. C’est ce qu’essaie en tout cas d’expliquer à Mildred le chef de police, interprété par le formidable Woody Harrelson, lui qui se sent blessé et mal compris par ses réels efforts pour retrouver le coupable. Mais au-delà de ces messages, Mildred espère bien créer du bruit pour réveiller l’enquête, à grande échelle, sans pour autant culpabiliser directement le chérif.
C’est d’emblée l’une des forces du film, celle de ne pas chercher à systématiquement pointer la faute sur quelqu’un, mais plutôt à développer très généreusement le ressenti et le regard de chacun de ses protagonistes. Ainsi, on apprend à aimer Mildred malgré son fort caractère et ses actes parfois dangereux, on croule littéralement face à la beauté intérieure de ce chef de police apprécié et fragile, tout comme on aime détester, et même adorer cet officier en chef incompétent, violent, et fils à maman. Les personnages sont ainsi développés avec un joli sens de la répartie, et bienveillance, sans pour autant accuser leur fatalité de leurs actes, et paroles. McDonagh permet ainsi de comprendre l’évolution de ses principaux protagonistes face à cette affaire ayant l’effet d’une bombe.
On ne peut passer à côté d’une petite présentation de ceux-ci, tant ils regorgent d’intérêts, en commençant par Mildred, jouée par Frances McDormand, elle qui apporte toute la poigne et le sarcasme de cette femme brisée, qui préfère se battre et garder espoir plutôt que d’abandonner. Aussi forte soit-elle, son personnage affiche aussi ses vives émotions lorsque ses panneaux, symbolisant l’espoir, sont mis à rude épreuve. Sans oublier la relation tumultueuse et piquante qu’elle entretient avec son ex-mari, et qui reflète bien plus que ce qu’elle suggère. On assiste ainsi en une interprétation de femme de caractère, ce qui est à souligner à Hollywood. Quant à Dixon, il permet à l’acteur Sam Rockwell d’obtenir l’un des rôles de sa vie dans la peau de ce flic corrompu, brutal, et peu chatoyant de prime à bord, ayant un fond davantage formaté par une société peu évoluée dans ses mentalités, que mauvais. Il aura d’ailleurs ici l’opportunité de nous prouver qu’il y a du bon chez tout en chacun, et qu’il ne faut pas stigmatiser les apparences. Mais que serait aussi ce film sans l’interprétation toute en subtilité de Woody Harrelson, émouvant et juste dans son rôle, et dont le chef de policier qu’il interprète aura l’occasion de nous livrer ses mots les plus touchants, et fédérateurs. Brefs, les personnages, tous autant qu’ils sont, ont droit en un traitement des plus intéressants qu’il soit.
L’une des autres forces du film, c’est le ton qu’emprunte son scénario, entre la comédie à l’humour noir, le drame non-équivoque, le policier, ou encore le film psychologique. C’est un film qui ne se barricade pas dans un style à proprement parlé, et qui utilise à bon escient son scénario et l’écriture de ses personnages afin de retranscrire dans ses subtilisés les retombées, toutes en nuances, de l’affichage de ces messages sur ces fameux panneaux. Ainsi, McDonagh offre une large échelle d’ouverture à son histoire, aux nombreux rebondissements. D’ailleurs, plutôt que de chercher à installer une certaine tension vis-à-vis de la recherche d’un quelconque coupable, le scénario a intelligence de refléter le poids de cette quête à travers les agissements parfois extrêmes de ses personnages, pour lesquels on a peur à bien des reprises, ce qui prouve qu’on éprouve bien des sentiments pour eux. Ces moments amènent ainsi du rythme, de la force et de l’ampleur à l’histoire, malgré certaines longueurs. Imprévisible, voilà l’adjectif qui qualifie au mieux cette histoire passionnante, malgré ses origines dramatiques.
Bande-annonce :