Genre : Horreur, thriller
Durée : 100’
Acteurs : Keri Russell, Jesse Plemons, Jeremy T. Thomas, Scott Haze, Graham Greene, Rory Cochrane, Amy Madigan...
Synopsis : :
Une enseignante d’une petite ville de l’Oregon et son frère, le shérif local, découvrent qu’un jeune étudiant cache un dangereux secret aux conséquences effrayantes.
La critique de Julien
Attendu depuis un an et demi, "Affamés" ou "Antlers" (littéralement traduit par "bois" - de cervidé) est le premier film d’horreur de Scott Cooper, réalisateur américain qui s’était, par le passé, illustré dans le drame musical avec "Crazy Heart" (2009), ainsi que dans thriller avec "Les Brasiers de la Colère" (2013), le gangster avec "Strictly Criminal" (2015), ou encore le western avec "Hostiles" (2017). Adaptation de la nouvelle "The Quiet Boy" de Nick Antosca, originellement publiée dans le magazine Guernica en janvier 2019, son dernier film est une co-production signée Guillermo del Toro, qui lorgne entre drame social, puéril, et mythologie maléfique, est incontestablement un film à voir en cette période de l’année...
"Affamés" nous emmène dans une petite ville minière d’Oregon, manifestement abandonnée par sa population, car notamment ravagée par le trafic de drogue. Frank Weaver (Scott Haze), père veuf de deux enfants, y dirige d’ailleurs un laboratoire de méthamphétamine dans la mine, avec un complice. Ces derniers seront alors attaqués par une créature invisible, tandis que son plus jeune fils, Aiden, attendant jusque-là son père dans la voiture, se fera également attaqué par la bête après avoir pénétré dans cet antre, à la suite de cris suspects. Trois semaines plus tard, le jeune Lucas garde enfermé quelque chose dans le grenier de sa maison, auquel il apporte des carcasses et des petits animaux tués. Son enseignante, Julia Meadows (Keri Russell), va rapidement s’alarmer du comportement étrange et des dessins inquiétants de Lucas, qu’elle soupçonnera d’être maltraité, telle qu’elle le fut par son propre père, elle qui vient de regagner la maison familiale après le suicide de ce dernier. L’occasion pour elle de retrouver son frère Paul (Jesse Plemons), devenu shérif local, elle qui se sent toujours coupable de l’avoir abandonné quand elle était plus jeune...
Après une inquiétante introduction sous forme de prologue sur fond noir où une voix-off grave, féminine, et amérindienne annonce la sombre couleur de ce qui va suivre, Scott Cooper met en scène un décor particulièrement dévasté par l’industrie minière, avec ses étendues de bois qui le sont tout autant, tandis que d’autres restent bien intactes, dans ces forêts de Colombie-Britannique, filmées il y trois ans, à cette même période. Aidé par la sublime et magnifiquement préoccupante photographie de Florian Hoffmeister (ayant notamment œuvré sur celle de "Secrets officiels" de Capuche Gavin), le réalisateur nous plonge dans l’atmosphère sinistre et funeste d’une ville fantôme, alors qu’une créature algonquine et cannibale légendaire va venir réveiller ses (derniers) habitants, aux traits déprimés.
Autant dire que "Affamés" est un film qui doit beaucoup à son ambiance, pessimiste et tourmentée, au travers de laquelle les rayons du soleil se comptent sur les doigts d’une main. Pour une première incursion dans le cinéma de genre, Cooper parvient à injecter une vraie identité à son film, lui qui, il faut le dire, est maître dans l’art de l’immersion dans des univers poisseux, tandis qu’il s’agit ici de son premier film tourné numériquement, d’où une netteté d’images assez réjouissante.
Bien plus qu’un film d’atmosphère, "Affamés" est bien un film d’horreur, étant donné ce qu’il nous donne à voir. Certes, les sursauts ne sont ici pas nombreux, mais (très) efficaces pour ceux qui le sont, mais c’est bien au travers de son scénario adapté que le film risque d’être cauchemardesque pour certains. Car il nous confronte, d’une part, aux traumatismes de la maltraitance paternelle (au travers du personnage de Keri Russell) et, d’autre part, aux violences faites aux enfants, quelles qu’elles soient, étant donné le sort de Lucas (Jeremy T. Thomas) et de son petit frère (Sawyer Jones), lequel va d’ailleurs être touché ici par le fameux esprit maléfique. Or, à ne pas s’y méprendre, l’utilisation de ce dernier n’est pas ici qu’opportuniste, lui qui serait, d’après le mythe, né de la cupidité des hommes et du colonialisme. En effet, les Amérindiens, n’ayant plus eu de ressources pour survivre suite au passage des Anglais, auraient été contraints au cannibalisme, alors que le goût pour la chair humaine aurait donné naissance audit monstre. Et ce mythe est d’autant plus perturbant qu’il était évidemment considéré comme une réalité par les Premières Nations, que sont les peuples autochtones du Canada, à quelques exceptions près. Enfin, il est également question en sous-texte des dégâts causés par l’homme à l’environnement, ainsi que des ravages de la toxicomanie sur une petite communauté.
Cependant, le film ne va pas au bout des allégories qu’il met en place, ce qui a tendance à frustrer... Aussi, l’écriture repose sur des stéréotypes du genre assez éculés (tels que des personnages qui agissent à contre-sens, perpétuation du maléfice, etc.), tandis qu’on a bien du mal à croire au manque si important de forces de l’ordre dans cette ville. Mais qu’importe. "Affamés" se révèle, au contraire, très généreux en matière de viscères, lui qui bénéfice de maquillages saisissants de réalisme, ainsi que de l’utilisation crescendo de sa figure maléfique, laquelle se fera attendra, avant de se montrer aux moments opportuns. Les fans de méchante bébête en auront en tout cas pour leur compte.