Genre : Drame
Durée : 100’
Acteurs : Jasna Djuricic, Boris Isakovic, Raymond Thiry, Juda Goslinga, Teun Luijkx, Johan Heldenbergh, Reinout Bussemaker, Sol Vinken...
Synopsis :
Srebrenica, juillet 1995. Modeste professeure d’anglais, Aida vient d’être réquisitionnée comme interprète auprès des Casques Bleus, stationnés aux abords de la ville. Leur camp est débordé : les habitants viennent y chercher refuge par milliers, terrorisés par l’arrivée imminente de l’armée serbe. Chargée de traduire les consignes et rassurer la foule, Aida est bientôt gagnée par la certitude que le pire est inévitable. Elle décide alors de tout tenter pour sauver son mari et ses deux fils, coincés derrière les grilles du camp.
La critique de Julien
Jasmila Zbanic. Le nom de cette réalisatrice ne vous dit peut-être rien. Pourtant, son curriculum vitae est impressionnant. Née à Sarajevo en 1974, Jasmila est diplômée de l’Académie des arts dramatiques de sa ville natale. Réalisatrice de courts métrages, de documentaires, mais également de longs, toutes ses œuvres ont été produites par une association d’artistes qu’elle a fondée, tandis qu’elles ont même été présentées à des dizaines d’expositions d’art dans le monde entier, elle qui est même récipiendaire du Prix KAIROS 2014, honorant les artistes européens dont l’œuvre est jugée à grand impact culturel et social. Nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, lequel s’est incliné face à "Drunk" de Thomas Vinterberg, son cinquième long métrage "Quo Vadis, Aïda ?" est un drame de guerre proche du documentaire, qui se joue dans l’urgence d’un terrible fait réel passé.
Fin de la guerre de Bosnie (1992-1995), les Serbes ont envahi la ville de Srebrenica, exécutant plus de huit mille habitants, malgré le fait que la ville ait été déclarée zone de sécurité des Nations Unies. Cependant, les troupes de l’ONU (représentées ici par des Casques Bleus néerlandais) furent surpassées en armes, et laissées-pour-compte par certaines institutions politiques mondiales. Ayant elle-même survécu à la guerre de Sarajevo, Jasmila Zbanic a alors trouvé la force de raconter l’histoire de Srebrenica, qui la hante depuis, même si de nombreux obstacles se sont présentés à elle.
Inspiré par le livre "Under the UN Flag" (2007) de Hasan Nuhanovic, la cinéaste a du créer un film permettant alors aux gens de comprendre ce qui s’est passé, mais en cent minutes, tout en fictionnalisant certains faits et personnages. De plus, la Bosnie est un pays qui ne produit qu’un film par an. Dès lors, trouver des fonds de production fut difficile, d’autant plus pour réaliser un tel film. En effet, la ville de Srebrenica est restée dans la partie du pays dirigée par les Serbes de Bosnie après la guerre et la division interne de la Bosnie. Dès lors, le gouvernement du pays compte encore de nombreux politiciens de droite qui nient toujours que le génocide de Srebrenica a eu lieu, eux qui célèbrent encore aujourd’hui les criminels de guerre comme des héros, niant dès lors la décision de la Cour pénale internationale de La Haye, selon laquelle ce qui s’est passé à Srebrenica constitue un génocide. Heureusement, de nombreux bosniaques ont aidés, tandis que neuf pays européens ont coproduit ce film où il n’est pas seulement question de cette histoire, mettant directement en lumière les contradictions du comportement humain et du fonctionnement du système politique. Non, Jasmila Zbanic ne cherche pas ici à pointer du doigt les institutions et les idées que l’ONU défend, mais bien à les améliorer, à les soutenir, pour ne plus que cela se reproduise... Rien que pour toutes ces raisons, son film mérite déjà le déplacement.
Tandis qu’il trouve ici un écho direct avec l’actualité et ce qui s’est récemment passé en Afghanistan, "Quo Vadis, Aïda ?" met ainsi en scène une mère professeur d’anglais, traductrice pour les Casques Bleus, d’une part envers les Serbes, et d’autre part envers la population bosniaque, entourant alors un champ de l’ONU situé aux abords de la ville, assiégée, en attendant d’être secourue. Sauf que l’aide tardera à arriver. Aïda tentera alors le tout pour le tout afin de sauver son mari et ses deux fils, tandis que les Serbes atteignent doucement la base... Au travers de ce personnage fictif porté avec dévotion par Jasna Djuricic, Jasmila Zbanic montre toute l’incertitude et l’incapacité de maîtrise vécue dans une telle situation (ici aussi bien pour les victimes que les forces armées alliées présentes sur place), mais aussi l’horreur entourant ce terrible génocide, ainsi que l’échec politique, en temps de guerre, d’hier, et d’aujourd’hui, preuve du manque sérieux d’engagement voire du silence des forces internationales, et d’une classe politique corrompue...