Genre : Drame
Durée : 100’
Acteurs : Monica Bellucci, Yahya Mahayni, Koen de Bouw, Dea Liane...
Synopsis :
Sam Ali, jeune syrien sensible et impulsif, fuit son pays pour le Liban afin d’échapper à la guerre. Pour se rendre en Europe et vivre avec l’amour de sa vie, il accepte de se faire tatouer le dos par l’artiste contemporain le plus sulfureux au monde. En transformant son corps en une prestigieuse œuvre d’art, Sam finira toutefois par découvrir que sa décision s’est faite au prix de sa liberté.
La critique de Julien
Quelle curieuse histoire que celle du quatrième film de la réalisatrice et scénariste tunisienne, "L’Homme qui a Vendu sa Peau", premier film tunisien à concourir, en 2021, à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Car le parcours qu’elle filme ici d’un Syrien ayant fui son pays et vendu son dos pour tenter de retrouver, en Europe, sa dulcinée, intrigue quelque peu. Et cette histoire, aux allures avant-gardiste, est d’autant plus perturbante qu’elle est partiellement inspirée de celle de Tim Steiner, un Suisse "enchères et en os", portant sur son dos un tatouage réalisé par l’artiste et savant fou belge Wim Delvoye, lequel a d’ailleurs signé son œuvre au-dessus de la fesse droite de Steiner. Ce dernier est ainsi devenu une œuvre d’art à part entière, vendu en 2008 pour 150 000€, et prévoyant ainsi trois expositions annuelles, tandis que l’œuvre reviendra, après sa mort, au collectionneur qui l’a achetée... Difficile à croire, et pourtant si vrai ! L’idée d’adapter cette histoire a alors longtemps germée dans la tête de Kaouther Ben Hania, après qu’elle ait vu "Tim 2006", lors d’une rétrospective dédiée à Delvoye, au Louvre, alors exposé sur un fauteuil...
Ancré dans l’actualité brûlante, et bercé par le vécu de Kaouther Ben Hania, "L’Homme qui a Vendu sa Peau" met ainsi en scène un héros et réfugié syrien, lequel a fui son pays sans en avoir véritablement le choix, et accepté ensuite de se faire tatouer dans son dos un tatouage de visa Schengen, lui offrant ainsi les portes d’un monde supposé meilleur, et la liberté qui va avec. Captivée par le monde de l’art contemporain et celui des réfugiés, régis par de codes (totalement) opposés, la cinéaste nous parle ici de la notion de liberté et des limites de l’art. En confrontant ainsi l’élitisme et la liberté de l’un, et la survie de l’autre impactée par sa situation et son absence de liberté, Ben Hania nous livre ici un objet cinématographique assez étrange. Jamais, à vrai dire, nous n’avons eu affaire à une telle histoire, à la déconcertante, perchée, mais terriblement actuelle. Centré sur les états émotionnels et psychologiques de son protagoniste principal, "L’Homme qui a Vendu sa Peau" se regarde tel un tableau, où rien n’a été laissé au hasard, de l’image à la musique, en passant par les couleurs, et où se côtoie aussi bien la détresse que l’humour noir.
Paradoxal, le film de Kaouther Ben Hania l’est tout autant que la découverte d’un monde ignoré par, et ignorant envers Sam Ali, le jeune syrien en question, lequel en fera les frais, après avoir fait un pacte faustien, avec "le diable", faisant ainsi exception de ses valeurs pour atteindre ses objectifs, avant de poursuivre sa quête, mais en faisant alors machine arrière, sous l’impulsion de volonté d’anonymat, et surtout de l’amour. "L’Homme qui a Vendu sa Peau" porte aussi les marques succinctes de la guerre, en témoigne une scène où Sam Ali discute avec sa maman par vidéo, ainsi qu’une autre, rappelant incontestablement celle de "The Square" de Ruben Ostlund.
Portée par le formidable et nuancé jeu écorché de l’acteur syrien Yahya Mahayni, reparti de la 77e Mostra de Venise avec le prix Orizzonti du meilleur acteur, ainsi que par son dos, cette co-production internationale (entre pas moins de six pays !) met aussi en lumière la comédienne Déa Liane, venue du théâtre, alors que son visage porte les traits d’une femme forcée d’épouser quelqu’un de riche (n’ayant plus de nouvelles de Sam, ayant quitté la Syrie pour le Liban), et de quitter son pays pour la Belgique, tout en étant toujours éperdument amoureuse. Monica Bellucci fait aussi partie de la distribution, mais dans un rôle difficile à appréhender, complexe, et qu’on a bien du mal ainsi à cerner, entre ses airs hautains et snobs, tandis que l’acteur flamand Koen de Bouw interprète ici l’artiste charismatique, provocateur derrière l’œuvre tatouée, exerçant une confiance et une emprise démesurée, et dont le traitement vient donc ici contrer les idées préconçues autour des créateurs torturés, en proie à leurs démons. Tout le contraire ici !
Kaouther Ben Hania confirme donc une fois de plus avec "L’Homme qui a Vendu sa Peau" l’ambition de son cinéma, à la fois progressif, utile, valeureux, et qui n’a pas peur de pertinemment transgresser pour atteindre ses objectifs, et ainsi servir des causes qui la touche.