Synopsis : Alex et Noémie, la trentaine, voudraient avoir un enfant. Mais leurs plans sont chamboulés quand Suzanne, la mère d’Alex, se met à faire de sacrées conneries. C’est parce qu’elle a contracté une “démence sémantique“, maladie neurodégénérative qui affecte son comportement. Elle dépense sans compter, rend des visites nocturnes à ses voisins pour manger des tartines, se fabrique un faux permis de conduire avec de la colle et des ciseaux. Suzanne la maman devient Suzanne l’enfant ingérable. Drôle d’école de la parentalité pour Noémie et Alex !
Acteurs : Jean Le Peltier, Jo Deseure, Lucie Debay, Gilles Remiche.
Au bas de cet article, l’interview de Ann Sirot et de Raphaël Balboni, réalisée en octobre 2020. Elle a été diffusée sur les antennes de RCF le samedi 11 septembre à l’occasion de la sortie en salle du film (plusieurs fois reportée pour cause de la pandémie du SARS-Cov2).
Une vie démente, un titre que l’on pourrait comprendre de façon imagée au sens de une vie jouissive, à la masse, dingue... mais au sens imagé et dans le domaine de la comédie. Mais le synopsis nous oriente vers autre chose, de l’ordre du drame, nous signalant qu’il sera question de démence, et en particulier de "démence sémantique". En réalité cela faisait des années que nous n’avions plus entendu ces deux mots joints. C’était à l’époque lors d’une émission radio où une femme racontait durant une heure "les mots de sa mère". En fait, Les mots de ma mère étaient là, mais très lointains à la mémoire et sans souvenir du nom de son autrice. C’est en préparant cette chronique qu’une recherche nous apprend qu’il s’agit d’Aurélia Balboni et l’on suppose qu’elle est la soeur de Raphaël.
Celui-ci réalise son premier long (présenté en ouverture du FIFF 2020) en collaboration avec Ann Sirot. Ils avaient déjà concocté ensemble un court, Avec Thelma où un couple, Vincent et Jean doivent accueillir la petite Thelma pour quelques heures, car l’avion de ses parents est bloqué à cause de l’éruption d’un volcan. Mais ces heures vont durer plus longtemps que prévu. Jean était interprété par Jean Le Peltier que l’on retrouve justement dans un des rôles principaux. Toujours en couple, mais, cette fois-ci avec Noémie (Lucie Debay) qui s’occupent de programmer la naissance d’un enfant. A la fin du film, ils seront... comblés... doublement (et vous comprendrez bien sûr dès la lecture du synopsis et en tout cas à la fin du film !).
Avant d’aborder la question de fond de ce film, la forme a quelque chose de séduisant qui parvient à atténuer le drame qui se joue. Ainsi lorsque Alex et Noémie (et Suzanne) se retrouvent face à un tiers, médecin et thérapeute, la caméra prend la place de ces derniers et nous ne découvrons les protagonistes qu’à travers les yeux du tiers qui les reçoit, écoute... Ce sont aussi les décors et tout particulièrement ceux de la chambre du couple où leurs vêtements, les draps, les tentures, les abat-jours tout est en tissu coordonné. Bravo aussi pour le travail de l’équipe de décoration et des costumes ! C’est aussi le comique de situation ainsi quand de façon candide Noémie explique au médecin la façon dont ils s’y prennent pour faire l’amour et peut-être pas au top (un très mauvais jeu de mots !) pour que la fécondation soit pleinement efficace.
A travers ces situations, une autre se dessine où l’on découvre peu à peu le personnage de Suzanne et sa façon singulière d’habiter le monde, de gérer son argent, sa voiture. Les mots qu’elle dit ne sont plus ceux qu’elle conçoit et ne font plus sens. Ce qui semblait être au départ une étourderie s’avèrera bien plus grave. Ses mots ne veulent plus rien dire ! Ils ne font plus sens et la communication devient impossible. Les objets eux-mêmes seront conçus autrement. Petit à petit, la situation s’aggrave, irréversible. Et l’envie éventuelle de sourire de certaines scènes vire assez vite au rire jaune. Et l’on sent combien la situation devient pénible tant elle obère les finances de Suzanne que le désir de son fils et de sa belle-fille d’avoir un enfant.
Que faire quand il n’y a plus rien à faire ? Sinon les neuroleptiques ! Est-ce que finalement la chimie ne va pas aider là où les mots manquent et ne signifient plus rien ? Et si cette camisole chimique faisait prendre conscience qu’elle n’est pas la solution et qu’il faudra "faire avec Suzanne (excellente Jo Deseure) comme elle est" ! Et cela jusqu’à l’incongruité d’une poitrine qui se donne à voir dans un jardin où on laisse place à l’enfant, aux enfants qui nous sont donnés, là !
Interview d’Ann Sirot et de Raphaël Balboni