Signe(s) particulier(s) :
– quatrième long métrage de la cinéaste française Sophie Letourneur après "Gaby Baby Doll" (2014), "Les Coquiettes" (2012) et "La Vie au Ranch" (2009) ;
– le film est accusé de promouvoir l’entrave à l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse).
Résumé : Ça lui prend d’un coup à 40 ans : Frédéric veut un bébé, Claire elle n’en a jamais voulu et ils étaient bien d’accord là-dessus. Il commet l’impardonnable et lui fait un enfant dans le dos. Claire se transforme en baleine et Frédéric devient gnangnan.
La critique de Julien
Quel drôle de film que cet "Énorme", non pas qu’il soit marrant, mais plutôt étrange, dérangeant. En effet, en plus de jouer constamment le principe du champs/contre-champs oscillant entre le documentaire réaliste et la fiction burlesque, la nouvelle réalisation de (la plutôt méconnue) Sophie Letourneur met en scène un couple atypique qui s’apprête à devenir parents, mais loin des règles de l’art. C’est que le personnage campé ici par Jonathan Cohen impose une grossesse à sa femme, jouée par Marina Foïs, en remplaçant sa pilule par des sucrettes... Autant dire que cette "comédie" fait actuellement grand bruit, mais pas pour les bonnes raisons.
L’ex-Robin des Bois incarne ici le rôle de Claire Girard, une pianiste de renom qui ne cesse d’être sur les routes du monde entier, elle qui est socialement éteinte, et vit involontairement dans les pantalons de son mari, Frédéric, lui qui s’occupe de tout, et même de lui donner la pilule (!). Nul autre choix pour lui que d’être son manager (s’ils veulent encore d’une vie privée), et homme à tout faire, bien que cela l’arrange très bien. D’ailleurs, c’est lui qui profite bien plus de sa notoriété qu’elle même... C’est donc ainsi qu’il l’accompagne partout, jusqu’au jour où, dans un avion à destination d’une nouvelle date de concert, il assiste une dame lors de son accouchement, ce qui lui donnera irrémédiablement l’envie d’avoir un enfant. Sauf que la vie que le couple mène actuellement ne peut leur permettre cela, bien qu’il en désirera autrement...
Filmé en format carré afin d’appuyer le portrait confiné du couple dans cette longue étape du calendrier de grossesse, Sophie Letourneur a souhaité tourner une comédie sans rien vouloir se refuser, et encore moins le tabou, ni l’incongru (ce qui l’a fait d’ailleurs rire). Si d’un point de vue de sa mise en scène, "Énorme" joue à la fois la carte du documentaire, du comique de situation à coups d’improvisations, et du caractère quelque peu science-fictionnel d’être enceinte, ses personnages, eux, se comportent de manière totalement anormale, et pas du tout représentative de la réalité, bien que leurs propos et situation en disent beaucoup sur la grossesse, et des rapports entre homme et femme. Alors certes, si certaines des réactions du personnage de Jonathan Cohen amènent à sourire, lui qui prend la situation un peu trop à cœur de là à s’imaginer lui-même enceinte, la réalité rattrape vite le cinéma quand on sait que ce personnage pourrait écoper de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30.000 euros pour cette fécondation forcée. Et ce n’est pas la seule scène du film où ce personnage prendra conscience de la gravité de son acte qui va nous permettre de relativiser, et de rire de l’ensemble. Quant au rôle de Marina Foïs, et bien on ne comprend tout simplement pas ! Difficile de rester calme devant la passivité abusive de cette femme morte-vivante, dont profitera d’ailleurs son mari, bien qu’elle se réveillera, avec tout de même les services d’un voisin chaman... Alors oui, "Énorme" est une chronique d’une fécondité pas comme les autres, mais à savoir si elle est saupoudrée d’humour (très noir) ou de mauvais goût, on se pose encore la question. Quoi qu’il en soit, on doute que l’amateur d’humour potache y trouvera son compte, étant donné qu’il s’agit-là d’une comédie déguisée (que sa bande-annonce ne reflète guère), elle qui se termine par une interminable séquence qu’on dirait extraite de l’émission docu-télévisée "Baby Boom", censée ainsi redorer le blason de l’énormité de ce que l’on vient de traverser. En vain.
Dérangeant et singulier, rebutant par sa forme, absurde bien que non-dénué de sens, "Énorme" va à l’encontre de tout ce que le spectateur ciblé pensait voir, et de tout ce qu’on a déjà pu voir de la grossesse sur grand écran. S’il servira, d’une manière ou d’une autre, de tremplin dans la carrière de sa réalisatrice, on doute cependant de sa démarche, pour le coup trop non-formatée, et de la portée de ses messages, bancals, jouant sur un terrain sensible et osé, loin de faire l’unanimité, dont la nôtre...