Signe(s) particulier(s) :
– premier film de la cinéaste sud-coréenne Bora Kim, laquelle a mis sept ans de travail au service de ce dernier, lequel est basé sur certaines expériences très personnelles ;
– salué par la critique, le film a récolté pas moins d’une soixantaine de prix à travers le monde.
Résumé : Séoul, été 1994. Eun-hee est collégienne. Elle cherche sa place entre des parents qui se disputent, une sœur aînée qui fait le mur et un frère qui a la main lourde. Elle a un petit ami mais n’est pas très populaire à l’école. L’arrivée d’une nouvelle professeure dans l’institut privé où elle prend des cours de chinois va changer la façon dont Eun-hee voit le monde qui l’entoure.
La critique de Julien
Il n’est pas commun de voir un film sud-coréen naviguer sur le terrain du "coming-of-age movie" (litt. "passage à l’âge adulte"). Pour son premier film après son travail de fin d’études remarqué "The Recorder Exam" (2011), Kim Bora nous dévoile enfin son premier grand essai, inspiré par son enfance, dont sur un moment charnière dans sa propre vie, à savoir l’effondrement, en 1994, d’une partie du pont Seongsu, situé sur la rivière Han à Séoul, ayant fait pas moins de 32 morts, et 17 blessés. Et il lui aura fallu trois années pour trouver l’interprète d’Eun-hee (Park Ji-hoo), laquelle joue ici une jeune collégienne de quatorze ans, laquelle bat désespérément des ailes comme un colibri ("a hummingbird" en VO), en pleine recherche d’identité et d’amour, elle qui vit dans une famille imparfaite, régie par le patriarcat, alors que la Corée est sujette à une économie d’expansion et de modernisation (trop) rapide, souhaitant alors être reconnu comme un pays développé, mais cela au détriment de l’humain. Difficile pourtant de prendre le train en marche et de trouver la confiance nécessaire pour affronter le monde qui nous entoure quand l’oppression et la violence fait partie du quotidien, aussi bien à la maison qu’à l’école...
Alors qu’elle poursuit l’étude du personnage d’Eun-hee (avec une autre actrice) déjà vu dans son premier court-métrage, lequel évoluait alors dans le contexte national des Jeux olympiques d’été de 1988 à Séoul (lesquels ont permis une croissance économique soutenue du pays et des succès diplomatiques), "House of Humminbirg" porte d’emblée la marque de son auteur, délicate dans ses intentions, laquelle on sent ici à la fois bien décidée à mettre en images les difficultés d’être une jeune demoiselle en Corée à l’aube de la mondialisation, et à la fois en paix avec elle-même par rapport à ce passé, l’ayant forgé, elle qui entretient aujourd’hui de bonnes relations avec sa famille, ce qui n’était pas le cas auparavant. D’ailleurs, la réalisatrice ne dépeint ici aucun personnage de manière négative, mais plutôt comme des victimes d’une société qui fut, et qui est à même de changer, d’être bousculée. Féministe, son film épouse surtout l’impact émotionnel ressenti par Eun-hee, chaque mouvement de la caméra étant intentionnel ciblé sur cette dernière. D’ailleurs, en parlant de cinématographie, on ne peut que féliciter une photographie multicouche, douce et sombre, adoptant également ses sentiments, entre acceptation de soi et nécessité de décalage pour exister, ainsi qu’une mise en scène qui prend le temps de décortiquer le quotidien du personnage, dans sa lente évolution et prise de conscience, ainsi qu’au travers de ses relations. On ne manquera pas ainsi de vous prévenir que "House of Hummingbird" est une longue étude propre à son protagoniste, bien qu’universelle dans son processus, accusant ainsi des longueurs, mais qui servent pourtant les propos. Et puis, Bora Kim nous montre à travers son film que l’évolution ne peut se faire au détriment de la compréhension et de la communication, ce que son personnage découvrira et entretiendra ici avec une professeur privé. Comme quoi, une rencontre peut tout changer, ou en tout cas renforcer, et amener de l’espoir, de l’amour, et le courage d’avancer, malgré les obstacles auxquels la vie nous confrontera, encore et encore, mais également aussi au bonheur d’exister, et d’être.
Émouvante radiographie lente, intime et subtile de la vie d’une adolescente dans le passé pas si lointain d’une Corée du Sud en pleine mutation, "House of Hummingbird" nous fait battre des ailes à mesure que celles de son personnage principal s’ouvrent devant nos yeux, filmé par la caméra sensible et bienveillante de sa réalisatrice Bora Kim.