Signe(s) particulier(s) :
– quatrième réalisation de Daniel Cohen après "Une Vie de Prince" (1998), "Les Deux Mondes" (2007) et "Comme un Chef" (2011) ;
– adaptation cinématographique de sa pièce de théâtre "L’Île Flottante", restée à l’état d’écriture.
Résumé : Léa, Marc, Karine et Francis sont deux couples d’amis de longue date. Le mari macho, la copine un peu grande-gueule, chacun occupe sa place dans le groupe. Mais, l’harmonie vole en éclat le jour où Léa, la plus discrète d’entre eux, leur apprend qu’elle écrit un roman, qui devient un best-seller. Loin de se réjouir, petites jalousies et grandes vacheries commencent à fuser. Humain, trop humain ! C’est face au succès que l’on reconnait ses vrais amis… Le bonheur des uns ferait-il donc le malheur des autres ?
La critique de Julien
On n’attendait pas grand-chose de cette comédie signée Daniel Cohen ("Les Deux Mondes"), d’autant plus que la réunion de "grands noms" n’est pas du tout synonyme de qualité au cinéma. Pourtant, en adaptant sa pièce de théâtre "L’Île Flottante", aidé au scénario par Olivier Dazat ("Normandie Nue"), le cinéaste se révèle particulièrement (et cruellement) inspiré par cette histoire, au travers de laquelle on suit deux couples d’amis, avec d’un côté Léa (Bérénice Béjo) et Marc (Vincent Cassel), et de l’autre Karine (Florence Foresti) et Francis (François Damiens), bien installés dans leur routine, jusqu’au jour où Léa, la plus clairvoyante et humble du groupe (bien que très naïve), travaillant alors comme vendeuse de vêtements, décide de suivre son instinct, soit celui d’écrire un livre, elle qui était jusque-là très indécise dans sa vie, ce qui arrangeait, faut-il croire, le reste du groupe. Son bouquin, devenant un véritable best-seller, il n’en faudra pas plus pour que la jalousie et l’hypocrisie s’installent dans cette amitié, tandis que son compagnon, macho, vivra très mal sa soudaine popularité...
Dans "Le Bonheur des Uns...", il est question de quatre personnages hauts en couleurs, très explicites dans leur comportement, sans être (forcément) caricaturaux, car humains. Il y a donc d’une part Léa, jouée avec constance, émotion et angélisme par Bérénice Béjo, laquelle va se retrouver rabaissée par ses soi-disant amis, et son compagnon (on a bien envie quelques fois de la secouer !), sous prétexte notamment que les gens changent avec la célébrité, alors que dans ce cas-ci, c’est bien son entourage qui va se heurter à ses propres limites, lequel va essayer de dépasser qui il est, mais sans y arriver, ce qui, indirectement, va éveiller les frustrations des uns, et des autres. Dont notamment celles de Karine, qu’incarne, dans un rôle jouissif et sur-mesure, Florence Foresti. Jalouse maladive, grosse tête, manipulatrice, compétitrice, son personnage n’en loupe pas une pour se mettre en valeur, quitte à contredire son opinion vraie pour rentrer dans les jupes des gens. Karine, c’est une personnalité détestable et odieuse par excellence, mais laquelle va petitement, mais sûrement, se révéler à elle-même, elle qui n’est en réalité pas bien méchante, mais réagit au premier degré face à l’incompréhension. Car finalement, ces gens ont beau casser du sucre sur le dos des gens, et être nauséabonds dans leurs réactions et leurs mots, mais ils ne font finalement que tristement exprimer ce qu’ils ressentent, soit une blessure. Pourtant, on a bien l’impression que le personnage de Foresti est condamné dans sa méchanceté puérile, étant donné la manière dont elle montre aussi son amour à Francis (François Damiens), cette dernière étant très méprisante envers lui, elle qui le prend souvent pour un inculte, bien qu’il soit bien plus perspicace qu’elle. Et puis, force est de constater qu’elle ne lui rend pas la pareille, étant donné qu’elle ne le motive pas au quotidien (ce que lui fait), elle qui se voit (évidemment) devenir écrivain (elle n’aura de cesse de rappeler à son amie Léa qu’une phrase de son bouquin vient d’elle !). Et on en passe des vertes et des pas mûres ! Face à Florence Foresti et Bérénice Béjo, François Damiens touche, lui qui est à l’écoute, et joue quelque peu un rôle de médiateur, lequel passera quant à lui par beaucoup de cases pour se trouver une passion... Enfin, il y a Marc, imbu de lui-même, joué par Vincent Cassel, lequel croît qu’on drague sa femme dès que quelqu’un s’approche d’elle, et lequel a en plus peur d’être pris pour un moins-que-rien, lui qui travaille dans une entreprise de papier aluminium. Sa manière à lui d’être supérieur à Léa, c’est de se "victimiser", de la faire hésiter, regretter, plutôt que de la soutenir. C’est qu’il a en plus mal à son ego, Marc, lui qui se voit devancer par un plus jeune employé que lui à un poste haut placé qu’il convoitait depuis longtemps dans cette entreprise... Bref, vous l’aurez compris, chacun des personnages réagira, à sa façon, au succès surprise de ce proche, alors que chacun d’eux espère aussi son propre épanouissement professionnel dans la vie, sans y parvenir...
Connait-on véritablement ses (meilleurs) amis ? Que se passe-t-il quand quelqu’un change de place dans un couple, ou dans un groupe établi ? Réagit-on tous de la même manière face à la réussite d’un proche ou d’une connaissance ? Peut-on simplement se réjouir du succès d’autrui sans le ramener à sa (petite) personne ? Daniel Cohen met en scène ces questions parmi d’autres dans "Le Bonheur des Uns...", empruntant son titre à la moitié de la célèbre citation de Léon Bloy. Alors oui, cette comédie se veut excessive dans ses propos, répétitive dans sa mise en scène, et n’offre que bien peu de confrontations pourtant attendues, mais on ne peut que se délecter du comportement parfois dégouttant entre ces personnages, qui pourraient ainsi vous rappeler (on ne l’espère pas pour vous) certaines personnes de votre entourage, elles qui se disent ainsi "amies", alors que l’hypocrisie monopolise les discussions une fois chacun chez soi. Et puis, force est de constater que le casting est particulièrement en force, dont une Florence Foresti dans une partition particulièrement effroyable et jubilatoire, et les dialogues savoureusement féroces.
Ne tiendrions-nous pas là la comédie française de la rentrée ? Réponse dans les salles ! Quoi qu’il en soit, "Le Bonheur des Uns..." a été l’un des nôtres, par surprise, étant donné une galerie de personnages en roue libre, mais non loin d’une certaine réalité, et une autopsie enlevée de l’amitié et du couple, disséqués à coup de jalousies et de frustrations, suite à la réussite des uns, et l’échec des autres...