Signe(s) particulier(s) :
– septième long métrage du réalisateur, scénariste, monteur et producteur japonais Kôji Fukada, lui dont le dernier film sorti dans nos salles était "Harmonium", en 2017.
Résumé : Ichiko est infirmière à domicile. Elle travaille au sein d’une famille qui la considère depuis toujours comme un membre à part entière. Mais lorsque la cadette de la famille disparaît, Ichiko se trouve suspectée de complicité d’enlèvement. En retraçant la chaîne des événements, un trouble grandit : est-elle coupable ? Qui est-elle vraiment ?
La critique de Julien
Une fois n’est pas coutume, Kôji Fukada fait resurgir des fantômes du passé pour malmener la vie de ses personnages, ou plutôt celle ici de son unique personnage principal, joué par Mariko Tsutsui, qu’il dirige pour la seconde fois après "Harmonium" (2017). Dans "A Girl Missing", le cinéaste met en scène le portrait complexe et fascinant d’une infirmière à domicile qui, suspectée malgré elle comme complice d’un enlèvement, va voir sa vie basculer du tout au tout. Mais est-ce à tort, ou à raison ? Et si tel est le cas, à quel degré ?
Jouant en parallèle sur deux strates de temps différentes permettant de mieux cerner la personnalité avant/après de cette femme ambiguë, Kôji Fukada prend le temps d’installer le spectateur dans la vie de cette dernière, elle qui travaille au sein d’une famille dans laquelle elle est considérée comme membre à part entière, tandis qu’elle y soigne la grand-mère, et aide aussi la petite fille aînée dans ses études, elle qui souhaite devenir infirmière. Mais un jour, la cadette, disparaîtra. S’en suivra une frénésie médiatique qui mettra littéralement l’anti-héroïne dos au mur.
Traduit littéralement en français par « visage de profil », le titre japonais du film, "Yokogao", en dit énormément sur ce personnage à la dualité intrigante, sur lequel on aime s’interroger, étant donné la manière dont Kôji Fukada nous livre, au compte-goutte, des éléments de culpabilité, aussi crédibles ou non soient-ils. Ce sera alors à nous à les interpréter, en tenant compte bien évidemment des facteurs qui les feront surgir, venus des relations communes qu’il entretient avec son entourage, et de lui-même...
Alors que l’on ne sait toujours pas vers où se dirige le film à l’issue de sa première demi-heure, Kôji Fukada soigne sa mise en scène, très épurée et naturaliste, propre au cinéma social japonais, lequel ose alors changer le ton de l’histoire en cours de route, la transformant de manière nuancée en un thriller psychologique contemporain, renforcé par quelques scènes où une rare musique de fond monte crescendo pour alors en exprimer toute la tension suscitée. Sans en avoir honte, "A Girl Missing" emprunte ici et là au cinéma fantastique de Lynch et de Hitchcock, et confronte son personnage à un véritable cauchemar éveillé de tiraillements, devenant la cible de l’histoire, lui qui va tout perdre, tout en assumant et n’ayant honte de ce qu’il a pu éventuellement faire. Pointilleux, les longs dialogues, qui peuvent parfois paraître anodins, apportent alors leur importance, et notamment ceux où il est question de simples confessions. Car dans "A Girl Missing", le moindre faux pas est synonyme de mise sur la sellette, comme un peu partout ailleurs, aujourd’hui...
Le poids de la rumeur, de l’interprétation, et des gestes anodins, la confiance en l’autre, la rancœur, la vengeance, la fragilité de nos liens sociaux, la filiation génitrice et responsabilité familiale, ou encore l’apitoiement des médias, sont ici les principaux thèmes traités par le cinéaste avec plus ou moins de répartie, nous livrant là un film qui, s’il manque d’émotions et a sans doute trop de choses à dire, est subjuguant par son écriture, dense et sensée, et le rôle tenue par Mariko Tsutsui, totalement bluffant. Et mine de rien, Kôji Fukada en dit énormément sur les troubles de la société japonaise par le portrait à la fois lumineux et impénétrable de cette femme mise à mal.
La fille disparue n’est pas tant ici celle que l’on croit. Avec "A Girl Missing", Kôji Fukada impose son style, et ses atouts d’auteur à remettre en cause notre propre perception d’autrui, mais également en question notre propre reflet dans le rétroviseur, interrogeant de manière perturbante nos liens sociaux, familiaux, et nous-même. C’est là un film troublant, et une véritable psychose, à l’image d’une société médiatisée qui s’efforce à nous enfermer dans une case qui n’est pas la nôtre...