Signe(s) particulier(s) :
– sixième film du cinéaste américain d’origine allemande Derrick Borte, principalement connu pour la comédie noire "The Joneses" (2010).
Résumé : Mauvaise journée pour Rachel : en retard pour conduire son fils à l’école, elle se retrouve coincée au feu derrière une voiture qui ne redémarre pas. Perdant patience, elle klaxonne et passe devant. Quelques mètres plus loin, le même pick up s’arrête à son niveau. Son conducteur la somme de s’excuser, mais elle refuse. Furieux, il commence à la suivre... La journée de Rachel se transforme en véritable cauchemar.
La critique de Julien
Méfiez-vous du klaxon ! Car s’il y a bien une (seule) chose que nous apprend "Enragé", c’est de le manier avec politesse et sympathie (préférez ainsi deux petits coups plutôt qu’un long !), au risque de tomber sur un inconnu (très) instable, bien décidé à vous pourrir votre journée, à moins d’excuses. Mais faut-il encore pour cela être en tort ! C’est en tout cas ce qu’il va arriver à Rachel Hunter (Caren Pistorius), une mère célibataire récemment divorcée, souffrant de "retardite aiguë", alors qu’elle doit conduire son fils (Gabriel Bateman) à l’école, et aller couper les cheveux d’une cliente... La pauvre tombera alors dans les embouteillages monstres de la Nouvelle-Orléans, et klaxonnera à un pick-up noir n’ayant pas passé au vert. Sauf que ce qu’elle ignore, c’est que le propriétaire de l’engin, Tom Cooper (Russel Crowe), se définissant comme un laissé-pour-compte de la société, ayant tout perdu depuis son divorce, a lâchement assassiné son ex-épouse et son compagnon la veille au soir, mettant le feu à la maison. En fuite, autant dire que le bonhomme, déséquilibré, est dangereusement exaspéré par les gens qui ne s’excusent pas, ce que Rachel ne tardera pas à comprendre.
"Enragé" débute alors par une scène d’ouverture qui nous met en ambiance, avant de poursuivre par un générique qui va déjà se chercher des excuses afin de justifier ses futures incohérences. Ce dernier nous assomme alors d’extraits fictifs de reportages télévisés alarmants, et de séquences filmées en rue, tout ça pour nous dire que rien ne va plus sur les routes (les forces de l’ordre sont dépassées et ne savent plus porter assistance à tout le monde !), tandis que l’égoïsme a gagné notre société, dans laquelle tout doit aller plus vite, et où les gens se tapent dessus pour un rien. Ça a eu moins le mérite d’être clair !
Derrick Borte met alors en place un thriller sans temps port, et multipliant comme seul intérêt des scènes de courses-poursuites - (très) violentes - en guise de spectacle. Mais la tension, elle, n’est aucunement au rendez-vous, étant donné le caractère totalement improbable du scénario. En effet, tout (ou presque) manque ici de crédibilité, et dès lors de réalisme. Impossible ainsi d’y croire, et de ressentir la moindre empathie, ne serait-ce même envers le personnage principal, qui met du temps à percuter, au contraire de celui campé par Russel Crowe, lequel doit se contenter du rôle du psychopathe de service, blâmant la société par ses échecs, et qui, n’ayant plus rien à perdre, décide de se venger sur une belle inconnue. Quelle tristesse alors d’assister à un tel rôle bourru et frustré, joué par un acteur d’un tel acabit, Crowe ne bénéficiant au plus ici que de quelques répliques pour nous en dire plus sur son personnage, et ses motivations extrêmes infondées. Et c’est bien dommage, car le film aurait pu tourner cette situation à son avantage s’il avait pris la peine d’approfondir ses portraits (au téléphone ou non), ayant même des points communs par rapport à leur situation personnelle, d’autant plus que celui de Caren Pistorius a également, faut-il croire, des choses à se reprocher... Dès lors, "Enragé" aurait permis à sa critique de la société urbaine américaine en pleine déchéance d’être au moins entendue (pour ne pas dire plus nuancée). Mais bien décidé à appuyer sur le champignon, "Enragé" fonce dans le tas, et n’est qu’une parodie de ce qu’il met en scène.
Il y a des films qu’on aurait préféré ne pas voir, et "Enragé" en fait partie. Russel Crowe se perd au volant dans ce thriller abrutissant, qui aurait pu jouer sur l’ambiguïté de la figure du coupable, malmené par une société en manque de civisme, lequel préfère alors se transformer en un "rage-movie" sans relief, entre "Duel" (1971) de Steven Spielberg et "Chute Libre" (1993) de Joel Schumacher.