Signe(s) particulier(s) :
– librement adapté du roman d’Aidan Chambers, "La Danse du Coucou" (1982) ;
– le titre du film devait initialement être "Été 84", mais a été changé suite à l’inclusion de la chanson "In Between Days" de Robert Smith (du groupe The Cure), sortie un an plus tard ;
– labellisé "Cannes 2020", lui qui fait partie de sa Sélection officielle.
Résumé : L’été de ses 16 ans, Alexis, lors d’une sortie en mer sur la côte normande, est sauvé héroïquement du naufrage par David, 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu’un été ? L’été 85...
La critique de Julien
On sait le cinéma de François Ozon très rattaché à ses sentiments, mais également à la sexualité, aux choses de la vie qui nous échappent, et globalement à tout ce qui touche à l’ambiguïté. Or, sans s’en rendre compte auparavant, le roman "La Danse du Coucou" d’Aidan Chambers, lu lorsqu’il avait dix-sept ans, en 1985, et relu par curiosité après avoir réalisé "son précédent film "Grâce à Dieu" (2018), a nourri son imaginaire, étant donné la multitude de scènes vues et thèmes travaillés dans sa filmographie, dont il est justement question dans ce roman, intimement lié à l’adolescent qu’il était. Alors que personne ne s’était encore jeté, à sa grande surprise, sur une adaptation de cette première idylle entre deux jeunes garçons, Ozon, qui avait déjà écrit une première version de scénario, à 18 ans, avec un ami, a aujourd’hui l’expérience et la maturité pour gérer une telle histoire, jouant sur plusieurs éléments, laquelle a mûri en lui depuis longtemps, et au travers de laquelle il restitue l’époque du livre, et les souvenirs de son enfance ressentis en le (re)lisant.
Librement adapté, François Ozon introduit dès lors son film par un monologue, où Alex (attendrissante révélation Félix Lefebvre), sorti de cellule par un gendarme, se dit dingue, mais pas fou, étant donné que son passe-temps favori, c’est la mort, dans le sens où cela l’intrigue, l’intéresse, lui qui cherche à tout comprendre, sans parvenir à lâcher prise... Il nous parle alors d’un cadavre qu’il a connu quand il était vivant, et nous prévient que l’histoire qui suit, et qui précédence donc cet instant, le concerne lui et ce cadavre, elle qui va nous permettre de comprendre ce qui leur est arrivé... Le cinéaste choisit alors d’installer dès l’ouverture un certain suspens, ce qui est une grosse différence avec le roman, dans lequel on sait dès le début ce qu’Alex a fait, et pourquoi. Toute l’intrigue laisse dès lors planer le mystère, et invite le spectateur à se poser des questions, à créer de fausses pistes, et donc à éveiller sa propre curiosité. Car il est vrai que l’on se demande bien ce qui s’est réellement passé, alors que le montage alterne la situation difficile et présente d’Alex, et les événements passés qui y ont conduit...
François Ozon met alors en scène cette histoire romantique et dramatique, sans jamais pointer du doigt la relation homosexuelle dont il est question. En effet, hormis quelques insultes insignifiantes, le regard douteux du père d’Alex (Laurent Fernandez) autour les non-dits qu’il entretient avec son fils, et le traitement subit par un certain "tonton Jackie", "Été 85" ne met pas en avant ici l’amour entre deux personnes du même sexe (car il n’est d’ailleurs pas question que de cela), mais bien les premiers ébats amoureux de tout en chacun, ceux que l’on prend (un peu trop) au premier degré, et qui créent en nous la sensation de papillons dans le ventre, aussi agréables que les crépitements d’une feu de bois, un soir d’été, sur une plage, et qui nous feraient dire tout et n’importe quoi à l’autre, tel que tenir une promesse absurde... Le film d’Ozon nous ramène alors à notre adolescence, entre nostalgie et souvenirs précis de nos batifolages, confrontés à nos premiers vrais sentiments, à la fois confus et passionnés, mais qui nous dépassent, et nous interrogent. En parallèle, et à mesure que l’on avance dans la résolution, le réalisateur nous parle aussi de culpabilité, de la frontière entre sentiments d’amitié et amoureux, mais également de l’idée que l’on se fait de quelqu’un, de la projection de nous, en autrui, mais également de la figure de l’écrivain et de la vocation artistique, ainsi que du deuil ; tous ces questionnements étant centrés sur la personne d’Alex, par rapport à ses ressentis envers David (le captivant Benjamin Voisin, vu dans "La Dernière Vie de Simon" de Léo Karmann et "Un Vrai Bonhomme" de Benjamin Parent), charmeur invétéré.
Tel que son titre l’indique, le film est très bien établi dans sa temporalité, soignée, notamment par utilisation de la pellicule, propice au grain sur images, mais également par ses costumes, coiffures, et décors, capturés dans le Tréport, une station balnéaire ouvrière de Haute Normandie équivalant au Southend on Sea du roman, au sud de l’Angleterre, permettant dès lors d’ancrer l’histoire dans la réalité sociale de l’époque, elle qui se ressent énormément, notamment vis-à-vis des parents d’Alex, la maman étant interprétée par une Isabelle Nanty très touchante, elle qui souhaite que son fils fasse ce qui le rend heureux dans la vie, au contraire de son père, qui préfère qu’il se trouve rapidement un travail, au lieu d’aller au Lycée... Au contraire, David, orphelin de père, vit dans une magnifique demeure, avec un maman poule (Valeria Bruni Tedeschi), propriétaire d’une boutique très rentable, elle qui place beaucoup d’espoirs en l’amitié de son fils avec Alex. Le contraste est dès lors établi, et joue certainement aussi son rôle dans cette attirance mutuelle, eux qui ne dansent pourtant pas sur la même musique... Et en parlant d’elle, on ne saurait que profiter de celle que nous propose la bande-originale du film, de Bananarama ("Cruel Summer") à Jeanne Mas ("Toute Première Fois"), en passant par Move Music ("Star de la Pub"), ou encore le classique "Sailing" de Rob Stewart, de circonstance, qui accompagnera Alex tout au long de cet été, jusqu’à le conjurer le temps d’une danse absolument sublime (et encore, on pèse nos mots), où les larmes montent, sans qu’on ne puisse les retenir.
"La seule chose qui compte, c’est d’échapper, d’une manière ou d’une autre, à son histoire", dit Alex, en voix off, à la toute fin du film, tel que l’écrit Aidan Chambers, dans son roman. Même si le sens de cette phrase reste énigmatique, elle résume parfaitement l’esprit de liberté, de jeunesse éternelle, profondément humaine et finalement intergénérationnelle qui traverse le dix-neuvième film de François Ozon (et sans doute un peu tous les autres aussi), lui qui reste l’un des cinéastes français dont l’empreinte est indéniable, et les questionnements pertinemment perturbants, lequel est capable de mettre en images les émotions aussi extrêmes que des corps nus avec pudeur.
Bien que trente-cinq années séparent l’été narré et celui, particulier, que nous traversons, François Ozon nous rappelle, par cet "Été 85", que ce passé ne s’est jamais éloigné de notre cœur, lui qui nous permet de revivre, avec intérêts, des émotions enfuies, dont celles des amours adolescents, qu’ils soient uniques ou pluriels, lesquels font aussi de nous qui nous sommes devenus aujourd’hui.
Lien vers la critique de Charles