Signe(s) particulier(s) :
– premier long métrage du cinéaste américain Andrew Patterson, co-financé par ses propres moyens (notamment avec les revenus de son travail de production de publicités et de courts métrages pour l’équipe de basket-ball Oklahoma City Thunder), co-écrit sous son pseudonyme James Montague, et monté sous celui de Junius Tully.
Résumé : A la fin des années 1950, au Nouveau-Mexique. Une jeune demoiselle du téléphone, Fay et un animateur radio, Everett découvrent une étrange fréquence comportant des appels interrompus et anonymes et des signaux sonores conduisent Fay et Everett à résoudre l’énigme...
La critique de Julien
Tourné en 2006 en l’espace de 17 jours de tournage dans la ville de Whitney, au Texas, "The Vast of Night" est un premier film expérimental très audacieux, référencé, situé aux frontières du réel, et réalisé par un cinéaste à surveiller : Andrew Patterson. Rejeté par près d’une vingtaine de festivals de cinéma, ce film de science-fiction au budget de production dérisoire (moins d’un million de dollars) a mis du temps à se frayer un chemin vers les écrans, lui qui a finalement (et notamment) été récompensé en 2019 au Slamdance Film Festival, lequel est axé sur les artistes émergents et les films indépendants à petit budget. Bénéficiant d’une large attention critique, ses droits ont été acquis par Amazon Studios, pour une sortie fin mai de cette année, aux U.S.A., avant de faire la joie des amateurs de drive-in, puisqu’il y a été diffusé dès le 15 du même mois, en plein confinement. Disponible chez nous depuis ce 03 juillet, "The Vast of Night" est le petit détour à réaliser sur la plateforme de SVOD, histoire de briller en société, et surtout de découvrir cet OVNI et petite perle de mise en scène ingénieuse.
Andrew Patterson nous présente alors ses débuts de réalisateur sous la forme d’un épisode d’une série télévisée de science-fiction des années 50, appelée "The Scandelion Television Hour : Paradox Theater", dans la veine de "The Twilight Zone : la Quatrième Dimension" de Rod Serling, diffusé ici sur un vieux téléviseur, dans un salon. L’intrigue prend place dans la petite ville fictive de Cayuga, au Nouveau-Mexique, alors que tous les habitants de la ville se sont réunis pour encourager l’équipe de basket-ball universitaire, pour leur premier match de la saison. Au cours d’un long premier acte ininterrompu, et très bavard, Patterson met alors en scène deux jeunes, dont Everett (Jake Horowitz), un DJ radio à lunettes intelligent, et Fay (Sierra McCormick), un standardiste audiophile, lesquels discutent, tout en traversant les rues vide de la ville, au sujet d’un magnétophone acheté par cette dernière, mais qu’elle ne sait trop bien encore utiliser. Puis, alors que le match de basket-ball commence, se sépareront en direction de leur travail respectif, au téléphone pour l’un, et à l’antenne pour l’autre. Fay se mettra ainsi à écouter en parallèle l’émission d’Everett, alors interrompue par un mystérieux signal audio, qu’elle fera écouter à Everett, avant qu’ils ne décident de le diffuser à l’antenne, afin de demander aux auditeurs des informations et témoignages sur le signal...
Réalisé avec peu de moyens, "The Vast of Night" n’en manque pourtant pas dans sa cinématographie. En effet, en plus de filmer de longs plans et de limiter les effets spéciaux réussis au strict nécessaire, Andrew Patterson a eu l’inventivité de donner une apparence particulière à son film, soit celle d’un épisode d’une émission télévisuelle d’époque. En résulte ainsi quelques scènes tournées dans des tons bleus granuleux, afin d’en imiter l’aspect. En en l’occurrence, ce n’est pas tout, puisque le cinéaste s’essaie à bien d’autres choses, tels que des mouvements de caméra renversants, dont celui traversant la ville, du standard téléphonique à la station de radio en passant par le terrain de basket, nous offrant dès lors la géographie de cette petite ville à l’esprit très cinéma de Spielberg. De plus, alors que les événements racontés se déroulent en l’espace de quelques heures, durant la nuit, la photographie de M.I. Littin-Menz met en valeur les quelques recoins illuminés par les lampadaires de la ville, ce qui renforce le fait que ses rues, déjà très larges, soient désertes. On a alors l’impression de se promener dans un endroit fantomatique, alors que d’étranges lumières ne cachent dans le ciel. Tout cette mise en scène permet à cette histoire de s’inscrire dans une atmosphère à la fois magnifiquement rétro et inquiétante, alors que Fay et Everett parcourent les endroits de la ville afin de trouver des réponses à leurs questions, qui dépassent l’entendement, entre logique et mythe... Et s’il y avait bien quelque chose dans le ciel ?
Parsemé de références à la culture de la science-fiction (le meilleur exemple en est le nom donné aux stations de radio WOTW de la ville, acronyme ici du classique "War Of The Worlds" de H.G. Wells), "The Vast of Night" bénéficie aussi d’une excellente bande-originale symphonique, touchante et envoûtante, signée Erick Alexander et Jared Bulmer, et de prestations crédibles. Différents échanges entre les deux personnages principaux et leurs interlocuteurs sortent ainsi du lot, la caméra (observatrice) et les mots permettant dès lors de mettre des images sur les propos racontés (aussi troublant soient-ils). Dommage que l’intrigue du film, pourtant bien inscrite dans son époque, et vécue temps réel, soit si courte...
Pour un premier film, Andrew Patterson nous livre un virtuose petit bijou de SF diablement mis en scène, qui nous prouve que l’on peut encore réaliser de nos jours de vrais films de science-fiction, mais en ayant l’intelligence de suggérer bien plus que d’en montrer, laissant ainsi libre recours à notre imagination, et à la tension. C’est ce qu’on appelle du bon travail économique ! 15/20