Signe(s) particulier(s) :
– second long métrage du duo de réalisateurs autrichiens Severin Fiala et Veronika Franz après le film d’horreur psychologique en langue allemande "Goodnight Mommy" (2014).
Résumé : Une jeune femme et ses beaux-enfants, réticents à son égard, se retrouvent coincés et isolés dans le chalet familial. Le sombre passé de la belle-mère refait surface...
La critique de Julien
Récents venus dans le cinéma d’horreur indépendant, Severin Fiala et Veronika Franz confirment leur talent de metteur en scène dans le cinéma de genre après "Goodnight Mommy", sorti il y a déjà six ans. Pour leur premier film en anglais, les réalisateurs autrichiens nous embarquent dans un lodge éloigné du Massachusetts, alors que Grace (Riley Keough) peine à se faire accepter par ses beaux-enfants, Aiden (Jaeden Martell) et Mia (Lia McHugh), étant donné le drame qui les a récemment frappés, et le sombre passé de cette dernière. Mais pour leur permettre de nouer des liens, le père (Richard Armitage) de la petite famille décide de réunir tout le monde dans le chalet familial rural pour les fêtes de Noël. Tandis qu’il s’absente quelques jours pour son travail, Grace se retrouvera seule avec les deux adolescents, tandis que des événements préoccupants commenceront à se produire, renforcés par l’abondance d’iconographie catholique, elle qui est toujours tourmentée par un drame vécu durant son enfance, lié à une secte chrétienne extrémiste dirigée par son propre père...
Après une sombre et dramatique introduction, Severin Fiala et Veronika Franz prennent le temps d’installer ses personnages dans une ambiance malsaine à souhait, étant donné la relation hostile qui lie les deux enfants à leur belle-mère, eux qui refusent de se lier à elle, et qu’ils tiennent comme responsable de ce qui leur est arrivé, et d’autant plus en connaissance de son passé, que l’on découvrira sous forme de séquences vidéos filmées autrefois. D’emblée, les cinéastes réussissent à jongler entre le film d’horreur de maison hanté et le film d’horreur psychologique. Oui, les portes s’ouvrent toutes seules dans cet endroit isolé à la montagne, durant un hiver rude, filmé de manière à nous donner l’impression que quelque chose ne tourne pas rond en ces lieux. De plus, les prises de vue intérieures, non pas cadrées à hauteur d’œil, mais plutôt positionnées au-dessus ou en dessous des acteurs, donnent l’impression de perspective, et donc de profondeur, et appuient ce sentiment d’étrangeté de cette habitation, que le spectateur découvre aussi dès l’ouverture du film, mais en miniature, façon maison de poupées, créée par la mère des enfants, et avec laquelle jouait la petite dernière. Bref, tout est fait pour éveiller en nous des soupçons, que l’on éclaircira alors au fil des événements.
Inspiré par Alfred Hitchcock et son film Rebecca (1940), "The Lodge" a plus d’un tour dans son sac, et met en place une machination humaine qu’on n’aurait pu imaginer, laquelle va alors réveiller inconsciemment des fantômes du passé, et prendre de terribles proportions. Même si l’on croît à moitié en cette orchestration morbide, elle permet de rassembler toutes les pièces du puzzle et éléments, objets accentués jusqu’ici, au sein d’un final extrêmement froid, qui ressemble alors bien plus à un purgatoire où les pécheurs doivent faire pénitence pour monter au ciel qu’à une virée familiale à la montagne pour des vacances d’hiver en vue des fêtes de fin d’année...
Porté par la prestation habitée de Riley Keough (vue récemment chez Lars von Trier, David Robert Mitchell, Jeremy Saulnier ou encore chez Steven Soderbergh), l’actrice crève ici l’écran dans la peau de cette femme anxieuse, rejetée par ces deux enfants, alors qu’elle cherche à briser la glace avec eux, ce qui ne l’aidera pas à la mettre en confiance, elle qui est alors constamment réprimandée par la voix de son défunt père, tandis qu’elle suit un traitement médicamenteux psychiatrique. Les jeunes Jaeden Martell (vu dans le diptyque "Ça" d’Andrés Muschietti) et Lia McHugh (que l’on verra prochainement dans le film "Eternals" de l’Univers cinématographique Marvel) complète alors ce tableau, entre tristesse, effroi, désarroi et protection fraternelle, face à cette figure envahissante de seconde mère, qu’ils ne veulent pas. Et puis, cette maison de vacances est ici une personne à part entière, que Severin Fiala et Veronika Franz filment avec savoir-faire, et à laquelle la direction photo de Thimios Bakatakis (complice de Yorgos Lanthimos sur tous ses films) offre des couleurs glaçantes comme la mort.
Malgré toutes ses bonnes qualités, leur film ne tient pas toutes ses promesses, à commencer par le prétexte de départ, mais également ses lenteurs narratives (lui qui privilégie trop longuement l’angoisse aux sursauts), et son récit manipulatoire quelque peu invraisemblable dans ses ressorts, où chacun y perd ses repères, y cache son jeu, renforcés par la peur, et une place prédominante de la religion extrémiste.
Malgré sa réalisation indépendante et soutenue, ses décors efficaces, son atmosphère pesante, son lot de (demi-)surprises et des images qui troubleront le spectateur, "The Lodge" met aussi sa patience à rude épreuve, tandis qu’il (nous a) fait trop penser à l’excellentissime "Hérédité" (2018) d’Ari Aster, mais à sa décharge.