Signe(s) particulier(s) :
– adaptation du roman "Happy Hand" (2006) de Guillaume Laurant, paru aux éditions du Seuil, tandis que son auteur en coscénarise aussi le film ;
– présenté en première mondiale au Festival de Cannes 2019, où il y a remporté le Grand prix de la Semaine de la critique, tandis qu’il a reçu par la suite le Cristal du long métrage au Festival du film d’animation d’Annecy et les César 2020 du meilleur film d’animation et de la meilleure musique originale, tandis qu’il a été nommé pour l’Oscar du meilleur film d’animation.
Résumé : À Paris, Naoufel tombe amoureux de Gabrielle. Un peu plus loin dans la ville, une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. S’engage alors une cavale vertigineuse à travers la ville, semée d’embûches et des souvenirs de sa vie jusqu’au terrible accident. Naoufel, la main, Gabrielle, tous trois retrouveront, d’une façon poétique et inattendue, le fil de leur histoire...
La critique de Julien
Sorti dans nos salles de cinéma en novembre dernier, le premier long métrage de Jérémy Clapin (réalisateur de courts, et notamment de "Skhizein"), ovationné par la critique, nous avait malencontreusement échappé. Pourtant, on le savait être un film d’animation prometteur, et aimé de son public, bien qu’il n’ait pas connu un grand succès en salles ; on peut même parler d’échec commercial. Bref, les temps qui courent nous ont donné l’occasion de le rattraper, et on vous dit tout le bien qu’on en a pensé.
Adapté du roman "Happy Hand" (2006) de Guillaume Laurant, lequel participe ici à transposition de son histoire en scénario de film, Jérémy Clapin a parfaitement réussi à retranscrire cette histoire pour le moins originale, puisqu’on y suit le parcours d’un main coupée qui essaie littéralement de retrouver son corps, et autour de laquelle s’articule en parallèle (d’un point de vue montage) une histoire d’amour naissante, entre un jeune livreur de pizza orphelin, après la mort tragique de ses parents dans son enfance, et une demoiselle bibliothécaire.
Repensé par le cinéaste, avec la bénédiction de Guillaume Laurant et de son producteur, "J’ai Perdu mon Corps" ne respecte pas la trame narrative du roman, tout comme il invente de nouvelles circonstances, mais aussi des éléments, des objets qui lient les personnages et affirment leur place dans l’histoire. Et tout cela est à son avantage, tant ce film est un voyage dans le temps (avec l’utilisation pertinente de flashback), et l’espace, que Clapin rend ici brut, et loin d’être lisse, mais qui reflète ainsi la vie, ses divers obstacles rencontrés. Par ces ajouts, l’adaptation n’en est que plus poétique, et évocatrice, mais aussi intensément puissante par les émotions qu’elle suggère et scènes qu’elle fige dans le temps, et dont le poids n’est pas anodin dans ce double chemin de reconnexion avec la vie, rendu vrai et matérialisé par son animation unique, très picturale, et colorée de tons aussi vifs que sombres, au sein d’un aspect esthétique situé entre le dessin et le cinéma. Car sans s’en rendre compte, le spectateur assiste bien à une œuvre qui a nécessité une multitude de technique de réalisation, utilisant à bon escient aussi bien la lumière que la profondeur de champ, pour un résultat très enivrant, et prônant aussi bien le point de vue humain que d’une main. Et puis, le travail du son, et surtout de Dan Levy (du groupe The Dø), autour de la bande-originale, est juste fabuleux. En effet, la musique est l’un des points les plus importants du métrage, elle qui porte l’émotion et les sentiments que les personnages gardent au plus profond d’eux. Et autant dire que les neuf mois de travail qui ont été nécessaires pour enregistrer ce bijou (n’ayons pas peur de le dire) de synthés et de douce électro en valaient la peine ! Bref, c’est pour toutes ces raisons (et bien d’autres encore) que Jérémy Clapin nous livre un premier film qui laissera une empreinte indéniable chez le spectateur.
Humble et audacieuse quête du moi et de sa propre chance face aux aléas de la vie et sa destinée, "J’ai Perdu mon Corps", en ne choisissant pas la facilité, mais plutôt la singularité, s’avère d’une sensibilité et d’une justesse inouïes, et d’une virtuosité de mise en scène animée implacable. Bref, une œuvre qui, en plus d’être incroyablement maîtrisée, nous prend par... la main. Bref, on risque de ne pas l’oublier, tel un souvenir impérissable.