Signe(s) particulier(s) :
– premier long métrage du cinéaste Léo Karmann, lui qui dirige ici son frère Martin, tous deux les fils de l’acteur et réalisateur français Sam Karmann ;
– trois fois Prix du public en festival en France, et présenté au 35e Festival International du Film de Mons 2020 dans le cadre de la Compétition Parallèle.
Résumé : Simon a 8 ans, il est orphelin. Son rêve est de trouver une famille prête à l’accueillir. Mais Simon n’est pas un enfant comme les autres, il a un pouvoir secret : il est capable de prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touchée… Et vous, qui seriez-vous si vous pouviez vous transformer ?
La critique de Julien
Certes, on sait que le cinéma francophone ose enfin ouvrir ses portes au genre, et ainsi produire des films qui sortent de l’ordinaire. À titre d’exemple, on pense aux récents "Grave" (2006) de Julia Ducournau, "Revenge" (2017) de Coralie Fargeat, ou encore à "Ghostland" (2018) de Pascal Laugier. Mais avec "La Dernière Vie de Simon", il n’est pas question d’horreur, mais bien de surnaturel, ou plutôt de magie, et donc d’insolite, et sans doute aussi un peu de monstre, malgré son jeune protagoniste. Résultat de près de dix années de travail et de recherche de financements, ce drame familial fantastique, bercé par le cinéma de Spielberg, est une curieuse et audacieuse première réalisation, soignée et magistralement jouée.
Fils du cinéaste Sam Karmann, Léo Karmann passe derrière la caméra pour la première fois en vue d’un long métrage, lui qui avait jusque-là réalisé des courts, travaillé en tant qu’assistant-réalisateur, assistant-scripte et assistant-casting à la télévision et au cinéma, ainsi que co-fondé "A-Motion", une boîte de production cinéma spécialisée dans le développement de scénarios. Aidé à l’écriture par son amie de longue date Sabrina B. Karine (scénariste nommée aux César dans la catégorie Meilleur scénario original pour "Les Innocentes" en 2017), il réalisé aujourd’hui un premier film réussi et prometteur, qui mérite ainsi qu’on y plonge, et s’y intéresse.
Le pitch de départ du film pourrait se résumer en une seule ligne. Or, le film va plus loin que cela, pour notre plus grande surprise. Donc, d’emblée, on ne vous invitera pas à regarder la bande-annonce, afin de voyager dans le temps, comme nous, face à la découverte de ce film, et ainsi de se laisser emporter par sa vague de fantastique, qui réchauffe le cœur. Car cette part de cinéma de genre n’est ici finalement qu’un prétexte, une métaphore pour traiter on ne peut plus de l’humain, et en l’occurrence d’acceptation de soi, en vue ainsi d’être aimé pour celui que l’on est, et non pour celui qu’on aimerait que l’on soit, ou que l’on pense devoir être. C’est ainsi le problème que vit Simon, huit ans, orphelin, qui souhaite ainsi trouver une famille d’accueil qui l’aime. Le problème, c’est qu’il possède et cache, par peur, le pouvoir de prendre l’apparence des personnes qu’il touche, prêt alors à se sacrifier lui-même pour être aimé. Un drame (de plus) viendra alors frapper son existence, le forçant, par instinct, à camper une position fragile, et autodestructive, l’empêchant dès lors de se construire soi-même.
On pourrait douter d’une telle réalisation, nécessitant, par son ADN, une cinématographie léchée, et forcément crédible, et à laquelle n’est pas très habituée le cinéma hexagonal. Mais force est de constater que dès son ouverture, Léo Karmann réconforte, et installe le spectateur avec un prologue énigmatique et coloré, tourné dans une fête foraine vide, où Simon prend l’apparence d’un jeune homme pour aller se chercher une barbe à papa, avant de retourner dans son orphelinat, et de retrouver son apparence. Karmann en use alors ici d’un jeu d’ombre et de miroirs très propice, le tout donnant ainsi un ton magique à ce début d’intrigue. On distingue ensuite deux parties à ce film, en commençant par celle centrée sur l’enfance du trio d’enfants principal, formé par Simon (Albert Geffrier enfant, Benjamin Voisin adulte), Thomas (Simon Susset enfant, Martin Karmann adulte) et sa sœur Madeleine (Vicky Andren enfant, Camille Claris adulte), et précisément quand l’orphelin s’épanouit au sein de la famille de ces deux derniers, les Durant, avant de vivre un accident dans son bonheur. Puis, nous voilà transposés une douzaine d’années plus tard, alors que Thomas, mal dans sa peau et ne souhaitant pas reprendre l’entreprise familiale, fête ses vingt ans, tandis qu’un fantôme du passé resurgit au hasard d’une séance de diapositives... Et autant dire que la suite promet de quoi vivre une histoire personnelle et familiale à la fois touchante, profonde, ou le sacrifice n’a d’égal que l’amour que l’on éprouve envers quelqu’un.
Avec son scénario fort, entre mélange subtile de réalisme et irréalisme, ainsi que par son visuel épatant où les effets spéciaux se mêlent avec fluidité, "La Dernière Vie de Simon" n’a ainsi rien à envier aux productions de genre anglo-saxonnes, de là à se demander si l’on est bien ici face à une co-production entre la France et la Belgique. Et il n’y a qu’à regarder l’affiche du film pour se poser une nouvelle fois la question. Et si on ne sait pas trop vers où se dirige dans sa première partie Léo Karmann avec le pouvoir secret de son jeune personnage, le cinéaste change de ton, et fait prendre à son récit une tournure « dramanesque », mais inscrite dans le monde réel, réservant alors son lot de péripéties, et de questionnements, à partager finalement avec toute la famille (à partir de douze ans), étant donné que les choix pris enfant auront ici de (graves) répercussions bien des années plus tard, chez l’adulte.
Et puis, l’impact émotionnel de ce film n’aurait pas été le même sans l’interprétation sans faille de son casting, avec en tête Benjamin Voisin (vu récemment dans "Un Vrai Bonhomme" de Benjamin Parent), dans un rôle délicat et difficile à vivre, et puis surtout Camille Claris (vue dans "Mon Bébé" de Lisa Azuelos, dans la peau de Lola), absolument craquante, et troublante. Enfin, il y a bien évidemment Martin Karmann, lequel obtient ici un premier rôle au cinéma, et en l’occurrence en or.
On aurait tort de ne pas le dire, mais "La Dernière Vie de Simon" est le genre de projet cinématographique qu’on a envie de porter et de promouvoir, tant il transparaît un talent à surveiller, et un amour inconditionnel d’un cinéma différent, qui touche ainsi à son essence-même, et qui se doit donc d’exister dans notre cinéma francophone, d’autant plus quand c’est si bien fait. Et malgré le fait qu’on ait rapidement réussi à prédire son dénouement (ce qui n’était pas du tout le cas de la personne d’à côté), ce film nous a ébloui.
Coproduit en Belgique par Wrong Men, et soutenu par Wallimage, "La Dernière Vie de Simon" est une irrésistible proposition de cinéma de genre dans le paysage du cinéma francophone, lui qui s’inscrit ainsi dans la pure tradition du film fantastique familial, avec deux grands "f". Quête identitaire adolescente et romance impossible sont alors au menu de ce film inspiré, et interprété par un jeune casting absolument lumineux.