Signe(s) particulier(s) :
– sixième long métrage du cinéaste français Dominik Moll après "Des Nouvelles de la Planète Mars" (2006) ;
– adaptation du roman noir éponyme de l’écrivain Colin Niel, publié en 2017 aux éditions du Rouergue, lequel fait ici une courte apparition dans le film.
Résumé : Une femme disparaît. Le lendemain d’une tempête de neige, sa voiture est retrouvée sur une route qui monte vers le plateau où subsistent quelques fermes isolées. Alors que les gendarmes n’ont aucune piste, cinq personnes se savent liées à cette disparition. Chacune a son secret, mais personne ne se doute que cette histoire a commencé́ loin de cette montagne balayée par les vents d’hiver, sur un autre continent où le soleil brûle, et où la pauvreté́ n’empêche pas le désir de dicter sa loi.
La critique de Julien
Co-scénarisé par Dominik Moll et Gilles Marchand sur base du roman éponyme de Colin Niel, lesquels avaient déjà travaillé ensemble pour le film "Dans la Fôret" (2006) de ce dernier, "Seules les Bêtes" nous plonge dans film noir dans lequel plusieurs personnes vont être liées à la disparition d’une femme, du causse Méjean situé dans le Massif central en Lozère, jusqu’à la capitale économique de la Côte d’Ivoire, Abidjan.
Tout comme son modèle, le film de Domink Moll est divisé en chapitres, correspondant successivement aux points de vue de chaque personne concernée de près par cette disparition. Dès lors, les différentes parties du film nous permettent d’une part de comprendre petit à petit ce qui est arrivé, mais également de changer, d’approfondir notre regard sur des scènes préalablement vues, et ainsi de construire cette intrigue et sa résolution au fur et à mesure, bien que certains éclairages amènent aussi d’autres parts d’ombres... Par ce procédé, les scénaristes rendent le spectateur actif, et particulièrement attentif à chaque indice, glissés ici et là, et permettant de faire parfois des liens entre les personnages.
Ludique et dotée de suspens, sans pour autant être unique, la mise en scène est sans doute le point le plus fort de ce film, bien que certains questions et incohérences subsistent, tout en restant transparentes point de vue de l’exercice global réalisé, voire de la démonstration, d’une tenue exemplaire. À contrario, "Seules les Bêtes" n’est qu’un puzzle, d’un point de vue de sa construction cinématographique, lequel nous permet ainsi d’assembler les pièces d’une histoire, sans pour autant savoir ce qu’il va en advenir une fois ses parties rassemblées. Et cela pourra en frustrer, en dérouter plus d’un. Enfin, ces découvertes de visions d’intervenants parfois distancés de plusieurs milliers de kilomètres nous permettent de passer d’un monde rural à l’autre, très "cinégéniques", et surtout pour les prises de vues réalisées sur le Causse, et la vallée en contre-bas. Ces énormes paysages enneigés laissent transparaître efficacement le mystère et doute qui planent et accompagnent cette inquiétante disparition...
On comprend également pourquoi Dominik Moll s’est lancé dans cette adaptation, point de vue des messages sur lesquels elle interroge. En l’occurrence, il y a d’une part les inégalités sociales que cette histoire illustre, et d’autre part la quête d’un idéal pour chacun de ses personnages, quelles que soient leurs origines. Que l’on vive ainsi sur les plaines isolées d’un causse où dans une métropole africaine, "Seules les Bêtes" nous montre des personnes qui cherchent à s’en sortir, qui rêvent ainsi d’une vie meilleure, d’argent, d’amour (libre, et vrai), qui tuera ainsi la pauvreté de l’un, et l’isolement de l’autre. Et le contraste bien visible ici entre ces deux mondes renferme une dimension très politique, et intéressante car, aussi bien ici qu’ailleurs, des disharmonies existent au sein d’une même population. Il n’y a donc pas un schéma socio-économique pour sauver l’autre, tous fluctués par l’argent. Reste alors le combat et l’espoir pour certains, tandis que d’autres passent par l’illégalité, notamment via l’Internet, lequel permet dans son cas de rassembler virtuellement tout ce beau monde, tout en creusant encore un peu plus l’écart...
Habile, sombre, labyrinthique et très bien interprété, "Seules les Bêtes" est un thriller dans lequel on plonge tête baissée, lequel en dit bien plus qu’on ne le pense sur notre façon de vivre, et nos aspirations, bafouées. Certains resteront pourtant sur le côté, refroidis par sa mécanique.