Signe(s) particulier(s) :
– premier documentaire réalisé par la compositrice et réalisatrice Rachel Mason, à qui l’on dit le film musical "The Lives of Hamilton Fish" (2013), elle qui n’est autre que la fille des propriétaires de la boutique de porno gay "Circus of Books", laquelle a été durant 35 ans l’épicentre de la vie et de la culture LGBT à Los Angeles, dont il est justement ici question.
Résumé : Pendant des décennies, un petit couple de Juifs hétéros tient Circus of Books, librairie porno et premier centre gay à L.A. Leur fille analyse leur vie et leur époque.
La critique de Julien
Rares sont les documentaires qui arrivent dans les salles de cinéma, et d’autant plus ceux qui traitent de la cause LGBT. Pourtant, Netflix, lui, n’a pas hésité une seconde à acquérir les droits de cette petite pépite, « Circus of Books ». Avant tout, ce titre emprunte le nom de la célèbre boutique de pornographie gay autrefois située à Santa Monica Boulevard, à West Hollywood, laquelle a été l’épicentre de la vie et de la culture LGBT à Los Angeles, durant plus de 35 ans. Et pour l’originalité, cette dernière était tenue par Karen et Barry Mason, un couple d’hétéros, parents de trois enfants, devenus autrefois deux des plus grands distributeurs de porno gay hardcore aux États-Unis. Le documentaire « Circus of Books » revient alors sur la folle ascension professionnelle du couple, que rien ne prédestinait pourtant à se lancer dans ce business, tout en gardant le secret sur la nature de leurs activités face à leurs proches, et leur famille, avant d’en être touché à plusieurs niveaux...
Filmé à travers l’objectif de leur fille, cinéaste et artiste, Rachel Mason, « Circus of Books » est un portrait intime d’une famille (pas) comme les autres. Il y a d’un côté Barry Mason, un ancien ingénieur des effets spéciaux et inventeur, et de l’autre son épouse Karen, une ancienne journaliste, qui a notamment travaillée comme distributeur pour les publications de Larry Flynt (à l’époque spécialise dans la production de vidéos pornographiques et de magazines). Et puis, un jour, le propriétaire du magasin pornographique gay hardcore « Book Circus », devenu un important point de distribution de magazines pour les Mason, a dû mettre la clef sous le paillasson, profitant ainsi au couple. Bref, le « Circus of Books » était né.
Le premier intérêt de ce documentaire, c’est de montrer que la vie n’est jamais toute tracée. Ainsi, des choix et des opportunités peuvent tout changer. Et c’est un peu ce qui est arrivé, de fil en anguille, à ce couple, travaillant dans un domaine qui ne leur était pas cher de cœur, mais qui leur a énormément rapporté. Mais comparé à son époux Barry Mason, très laxiste et ouvert, Karen Mason, qui portait la culotte dans le couple, était très croyante, et faisait alors totalement abstraction de son travail dans la vie personnelle et familiale, elle qui imposait ainsi à ses enfants d’aller à la synagogue, étouffante et conservatrice, tel qu’on lui avait imposé à elle, depuis toute petite. Autrement dit, cette maman n’avait aucune accroche avec ce qu’elle faisait, sans l’assumer, et cela pour son image, et la sécurité de ses enfants. Mais on sait la situation de la communauté LGBT, eux qui ont été frappé par celle-ci.
À travers des images d’archive et d’interviews (de Larry Flynt, mais également du producteur de films pornographiques gays Matt Sterling, ou encore de l’ex-acteur porno Jeff Stryker), « Circus of Books » nous montre comment des gens, jamais pourtant identifiés comme des militants, ont peu à peu fait leur propre coming-out face à leur choix de carrière. Et comment ne pas faire différemment, lorsque l’on est impacté de près par cette communauté. Il y aura d’abord eu l’apparition du VIH/SIDA, que l’on surnommait autrefois le « cancer gay », eux qui ont vu bon nombre de leurs employés et clients en mourir, et souvent seuls, car abandonnés par leur famille. Aussi, les Mason auront vécu de plein fouet, au début des années nonante, le balayage organisé par le fédéral afin de fermer les distributeurs de vidéos pour adultes de Los Angeles, en ciblant ainsi les régions moins libérales du pays, et cela sous la présidence de Ronald Reagan, et ses lois anti-obscénité. Barry en aura d’ailleurs fait judiciairement les frais.
Et puis, évidemment, Rachel Mason filme l’épisode le plus personnel qui a touché la famille, ayant ainsi poussé Karen Mason à prendre du recul sur ses croyances, elle qui pensait alors que Dieu l’avait punie à cause de son commerce, son entreprise. Mais plutôt que de se refermer, Karen a alors décidé de changer ses stéréotypes sur les homosexuels, de repenser toute sa vision de la religion, et de s’ouvrir à la part qu’y occupe l’homosexualité, et cela afin de l’accepter. Plus encore, le couple s’est vu rejoindre l’association PFLAG (Parents, Families and Friends of Lesbians and Gays), eux qui ont ainsi passé plus de vingt années à tenter d’expliquer et de faire accepter les variations de genre chez les parents d’enfants appartenant à la communauté LGBT.
Enfin, « Circus of Books » est le parfait témoin de l’impact de l’Internet sur le monde d’avant. En effet, plus besoin d’un rendez-vous physique pour rencontrer quelqu’un, bien qu’il permette aujourd’hui aux homosexuels de ne plus vivre dans l’ombre, ni la peur, ni la discrimination. Pourtant, à contrario, la nouvelle génération a énormément de mal à se parler en face à face, tandis que les anciens lieux de rencontre étaient, avant d’être des lieux de commerce, des endroits d’interaction humaine, ce qui restera irremplaçable. Quant à la boutique des Mason, l’accessibilité facile en ligne à la pornographie gay et le piratage ont fini par faire couler leur commerce, les poussant ainsi à fermer leurs différentes boutiques (en août 2016 et février 2019)...
Sans pour autant forcer le trait, ni nous faire manger une soupe de tolérance, Rachel Mason a eu raison de filmer l’histoire atypique, mais inspirante, de ses parents. En résulte un documentaire humainement riche et nuancé, témoin de la vie LGBT à West Hollywood au fil des années traversées, mais lequel manque certainement de force dans son approfondissement des combats personnels, familiaux et communautaires vécus, eux qui sont, certes cités, mais majoritairement explorés en surface.