Signe(s) particulier(s) :
– premier long métrage du réalisateur new-yorkais Carlo Mirabella-Davis après plusieurs courts métrages, lui qui en a aussi écrit le scénario, inspiré par sa grand-mère qui, dans les années 1950, était femme au foyer et a commencé à développer des troubles obsessionnels compulsifs, au travers desquels, selon lui, elle "essayait de reprendre le contrôle d’une vie qui lui semblait de plus en plus étouffante" ;
– le trouble du comportement alimentaire dont souffre le personnage principal du film existe bel et bien (tout en étant rare), et s’appelle le Pica, et consiste à l’ingestion d’objets, ou de substances non comestibles.
Résumé : Hunter semble mener une vie parfaite aux côtés de Richie, son mari qui vient de reprendre la direction de l’entreprise familiale. Mais dès lors qu’elle tombe enceinte, elle développe un trouble compulsif du comportement alimentaire, le Pica, caractérisé par l’ingestion d’objets divers. Son époux et sa belle-famille décident alors de contrôler ses moindres faits et gestes pour éviter le pire : qu’elle ne porte atteinte à la lignée des Conrad… Mais cette étrange et incontrôlable obsession ne cacherait-elle pas un secret plus terrible encore ?
La critique de Julien
Le nom de Carlo Mirabella-Davis vous est sans doute inconnu, et pourtant. Avec son premier film, le réalisateur apporte sa pierre à l’édifice des cinéastes les plus prometteurs à suivre, tant son film "Swallow" est un étrange objet, à la fois terriblement glaçant, inquiétant, et qui, par son traitement horrifique d’un mal scientifique existant, à intelligence de mettre en scène les conséquences encore bien visibles du patriarcat dans notre société, et pas que.
Son intrigue suit alors Hunter, une jeune femme issue d’une famille de la classe ouvrière du nord de l’État de New York, qui a récemment épousé Richie, un homme d’une famille aisée, et qui vient de reprendre la direction de la société de son père. Aspirant illustrateur, mais désormais épouse à domicile soumise et serviable, Hunter se retrouvera très vite étouffée dans son mariage (seule, et inconsidérée par son mari), et sa vie domestique ennuyante. Vue par ses beaux-parents (oppressants et matérialistes) davantage comme un objet à exhiber aux mains de leur fils modèle plutôt que comme leur belle-fille, Hunter tombera enceinte, ce qui déclenchera en elle une impulsion de compulsions incontrôlables. En effet, elle éprouvera tout d’abord l’envie de manger une bille, et aura le courage de le faire, avant de consommer d’autres objets non-comestibles, alertant alors un mal-être plus profond...
Trouble du comportement alimentaire, le Pica (du latin "pica", la pie), assez méconnu mais existant bel et bien (tout en étant rare), consiste à l’ingestion durable (plus d’un mois) de substances non nutritives et non comestibles, telles que de la terre, de la craie, du sable, du papier, des métaux, etc. Alors qu’il fait encore l’objet d’études socio-culturelles et médicales visant à mieux comprendre ses causes, mal comprises et controversées, ce dernier se situe donc au cœur de ce film. Mais "Swallow" ne prétend pas apporter de réponses scientifiques à son sujet, lui qui l’utilise cependant pour mettre en scène une réponse quant à la situation de vie éprouvante d’un être qui, pour tenter de retrouver un quelconque contrôle sur sa vie dictée, va développer cette dangereuse emprise, à portée de mains (et de bouche).
Tandis qu’il a consulté en amont du tournage l’expert mondial du Pica, la psychoclinicienne Dr Rachel Bryant-Waugh, Carlo Mirabella-Davis trouve ici le juste équilibre entre le drame et l’horreur, étant donné la souffrance psychologique dont est victime cette jeune femme, et l’aspect dérangeant que procure l’ingestion de ces objets. Certaines scènes sont donc très dures et éprouvantes à regarder, mais appuient considérablement et de manière réaliste le mal-être en question. Mais au-delà de cette condition sociale écrasée, où les sentiments sont faussement partagés, Carlo Mirabella-Davis approfondi son sujet principal, et va ainsi plus loin dans l’analyse de l’élément déclencheur du Pica, chez Hunter, révélant ainsi un personnage extrêmement complexe, travaillé, et donc fascinant. Et de manière insoupçonnée, mais pertinente, le scénariste en vient alors en une seconde lecture, trouvant ici tout son sens. Mais on ne vous en dira évidemment rien !
Tourné dans une maison de verre située le long de la rivière Hudson, à Poughkeepsie, dans l’Etat de New York, laquelle emprunte des apparences très hitchcockiennes, Mirabella-Davis filme un thriller doucement étouffant, durant lequel se profile ainsi une issue de moins en moins lumineuse pour son personnage, tout en nous laissant suffisamment interrogatif, car dans l’impossibilité d’en deviner la teneur. Le cinéaste joue ainsi parfaitement entre tension et émancipation féminine de héroïne, même si elle doit ici passer par une maladie, laquelle l’aidera, malgré son caractère très vicieux, à guérir de ses maux, dont d’un système coercitif dans lequel elle vit, et la tuant ainsi plus vite que des objets ingérés...
Mais qui dit première réalisation, dit forcément petites maladresses. Alors certes, "Swallow" laisse place à une intrigue dans laquelle on plonge instantanément, mais surtout très froide, qui pourrait ainsi en laisser plus d’un sur le carreau, au regard de la prestation pourtant sans failles d’Haley Bennett (vue notamment dans "La Fille du Train" de Tate Taylor), avec sa voix frêle et presque imperceptible, vis-à-vis de la situation de son personnage. Enfin, certains segments scénaristiques laissent entrevoir quelques facilités d’écriture, et cela principalement dans le dernier et important quart du film, mais heureusement sans entraver le réalisme de ses messages, et de son cri d’appel important.
Avec "Swallow", Carlo Mirabella-Davis réussit son premier passage au long avec ce film anxiogène, envoûtant, original, lequel construit alors une renaissance féminine, mais non loin sans embûches. Mais elles s’avéreront nécessaires pour permettre à son témoin d’en ressortir la tête haute, débarrassée de ses démons, tel que d’un patriarcat étouffant, vidé et camouflé de toute humanité, et laissant songeur, une fois de plus, quant à la place de la femme dans notre société, heureuse dans ce cas précis, mais seulement en apparence…