Signe(s) particulier(s) :
– inspiré par l’article "Can You Say ... Hero ?" de Tom Junod, publié dans le magazine Esquire, en 1998, et basé sur l’entretient entre le journaliste et le célèbre présentateur américain de télévision Fred Rogers.
Résumé : L’histoire de Fred Rogers, un homme de télé américain dont le programme éducatif Mister Rogers’ Neighborhood a été suivi par des millions de téléspectateurs entre 1968 et 2001. A l’occasion d’une rencontre en vue d’écrire un article sur ce sujet, un journaliste du magazine Esquire va découvrir un homme à l’opposé de ce qu’il en pensait a priori.
La critique de Julien
Fred Rogers, vous connaissez ? Méconnu de ce côté de l’Atlantique, ce dernier fut pourtant une personnalité très connue de la télévision américaine, et aux multiples talents (musicien, marionnettiste, écrivain, producteur, etc.), lui à qui l’on doit surtout la série télévisée éducative pour enfants "Mister Rogers’ Neighborhood", qu’il a ainsi créée en 1968, et animée jusqu’en 2001 (il est décédé deux ans plus tard). Tandis que le documentaire "Won’t You Be My Neighbor ?" (2018) lui était déjà dédié, la cinéaste Marielle Heller lui consacre aujourd’hui à son tour un métrage, et même son troisième long, et cela quelques mois à peine après la sortie de "Can You Ever Forgive Me", une autre biographique, consacrée cette fois-ci à l’auteur Lee Israel, connue pour avoir écrit de faux littéraires, et emmenée par la prestation remarquée de l’actrice Melissa McCarthy. Mais quant à "A Beautiful Day in the Neighborhood", il ne s’agit pas là d’un film biographique comme on l’entend.
Tom Hanks prête ici ses traits à l’animateur, lui n’est pas, à proprement parler, le principal protagoniste du film. En effet, "L’Extraordinare Mr. Rogers" (titre en version française) revient principalement sur la rencontre entre le journaliste cynique Tom Junod (ici renommé Lloyd Vogel) et ce dernier, le temps de la rédaction d’un article pour le magazine Esquire, en 1998. Salué pour son profil très personnel de l’artiste, Junod a alors déclaré que sa rencontre avec Rogers lui avait changé sa vision de la vie. Ce film nous apprend alors en quoi Rogers lui a fait ouvrir les yeux, lui qui est joué par l’acteur gallois Matthew Rhys (vu notamment dans la série "The Americans"). Ce dernier campe alors Lloyd Vogel, un jeune père de famille en très mauvais terme avec son propre père, Jerry (Chris Cooper), à propos des souvenirs de la mère décédée de Lloyd, Lila, que son père a alors trompée, et abandonnée, même sur le lit de la mort, ce que Lloyd ne lui a toujours pas pardonné. Sauf que Jerry essaie de reprendre contact avec son fils, après des années de silence radio...
Malgré la présence de Tom Hanks, c’est bien vers Matthew Rhys et son personnage que la caméra se tourne ici, lui qui est plein de remords et de colère envers son père, mais que les mots et l’expérience de Fred Rogers viendront atténuer, faisant de lui un meilleur père pour son fils, en pardonnant ainsi à son propre père. Car bien que Vogel soit chargé ici de réaliser une interview de la star, force est de constater que, en connaissance de cause et de la réputation de Vogel par Rogers, c’est vers ce premier que se retournera l’exercice, étant donné l’empathie qu’éprouve Rogers pour autrui (lui qui est même dédaigneux de sa renommée) et sa force de remise en question. Finalement, cette rencontre marquera la thérapie dont avait besoin un être en souffrance, et jusque-là dans le déni du pardon, pourtant nécessaire. Rhys est alors très touchant dans ce rôle pudique dans ses sentiments, lequel ne parvient alors à exprimer ses douleurs intérieures que par la violence, malgré lui.
On ne va donc pas dire que "A Beautiful Day in the Neighborhood" est un indispensable dans la carrière de Tom Hanks, pour la simple et bonne raison que son rôle n’est ici qu’un tampon entre deux personnages, et que le message principal du film se révèle peu novateur, très léger dans son traitement psychologique, voire peu approfondi. Cependant, Hanks livre une interprétation très fidèle à l’homme qu’était Fred Rogers (avec son débit de parole lent et à la personnalité très silencieuse, ou plutôt mesurée dans ses interventions), tandis que la réalisatrice Marielle Heller parvient à redonner vie à son émission télévisuelle.
En effet, on retrouve dans les scènes enregistrées en studio du programme phare tous les éléments hautement imaginatifs devenus ses fondamentaux, tels que les accessoires du quartier de Mister Rogers, comme le trolley, les marionnettes, ou encore les baskets. En termes de mise en scène, le film surfe aussi beaucoup sur ce modèle, assez unique, lui qui s’ouvre d’ailleurs, comme chaque épisode, par une vue d’un modèle réduit de quartier, se rapprochant alors d’une représentation d’une maison (celle de Rogers), tandis qu’un piano instrumental joue le thème "Won’t You be My Neighbour ?", et que l’on y découvre le présentateur pénétrer dans la maison et chanter la chanson thème, en saluant ses visiteurs, tout en changeant sa veste de costume en un cardigan, et ses chaussures habillées à des baskets, lancées respectivement d’une main à l’autre. C’est dire si on s’y croirait vraiment ! Aussi, la cinéaste et son monteur ont eu la bonne idée de rallier certaines scènes importantes du film par des vues en maquettes, telles que celle du quartier de Mister Rogers. Ainsi, certains déplacements (en avion notamment), certaines vues d’extérieures, et même certaines scènes sont filmées à hauteur miniature, ce qui offre un véritable charme fou à l’ensemble.
Entre nous, "L’Extraordinaire Mr. Rogers" n’aurait pas connu un grand succès en salle, étant donné le manque de coup projecteur quant à la personnalité et carrière de Fred Rogers de par nos frontières. Pourtant, il reste un film très agréable à regarder, à voir comme une parenthèse extrêmement douce et bienveillante sur la complexité des émotions de l’homme, lui qui dégage en plus une aura nostalgique, soit celle d’une époque télévisuelle révolue, où l’on divertissait et favorisait en même temps le développement du public, et plus précisément ici celui des enfants, de deux à cinq, et avec des thèmes aussi difficiles que l’angoisse de la séparation, le divorce ou la manière de contrôler sa colère. Imaginez donc la complexité de l’exercice, et surtout la passion nécessaire ! Bref, on est bien loin de cela avec "Dora l’Exploratrice"...