Signe(s) particulier(s) :
– premier film de la cinéaste belge Zoé Wittock, détentrice de plusieurs courts métrages, dont "À Demi-Mot" (2014) ;
– inspiré par l’histoire d’Erika Eiffel, lue dans un article de presse, elle qui a épousé officieusement en 2007 la Tour Eiffel...
Résumé : Jeanne, une jeune femme timide, travaille comme gardienne de nuit dans un parc d’attraction. Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère, l’extravertie Margarette. Alors qu’aucun homme n’arrive à trouver sa place au sein du duo que tout oppose, Jeanne développe d’étranges sentiments envers Jumbo, l’attraction phare du parc.
La critique de Julien
"Objet inanimé, avez-vous donc une âme, qui s’attache à votre âme et la force d’aimer ?" Ce sont d’emblée ces mots extraits d’un poème d’Alphonse de Lamartine (1790-1869) qui résonnent au cœur du premier film de Zoé Wittock, laquelle nous embarque dans une relation passionnelle et onirique entre une demoiselle et une attraction à sensations fortes, filmée en partie à Plopsa Coo, dans l’Ardenne belge.
Métaphore envers la tolérance et l’acceptation de la différence dans une société qui juge dès que quelqu’un sort des cases, sans même faire de mal à personne, "Jumbo" est un étrange ovni cinématographique assez intriguant dans la forme, et perturbant dans le fond. En effet, visuellement, Zoé Wittock, avec l’aide de Benuts, société montante dans le travail des effets spéciaux, dévoile ici une parade de sons et de lumières, telles des aurores boréales, lorsque Jeanne (Noémie Merlant) communique avec Jumbo, tandis qu’elle est chargée d’entretenir durant la nuit la propreté du parc et de ses engins. Introvertie, la demoiselle ressentira alors comme une attraction pour cet objet de foire, capable de s’exprimer également avec un fluide. C’est en cette capacité de communication que le film est assez troublant, et pourrait prêter à rire sur papier.
S’il est donc question ici d’une personne que l’on pourrait considérée comme objectophile, la réalisatrice et scénariste laisse le doute quant aux ressentiments de son personnage pour Jumbo, bien qu’elle laisse planer le doute quant à un trauma qu’elle aurait pu subir durant son enfance, et qui serait lié à son père. D’ailleurs, après quelques recherches, Zoé Wittock a découvert que cette particularité d’éprouver des sentiments pour des objets pouvait aussi venir d’une forme d’autisme, laquelle peut conduire à une hypersensibilité à la lumière, aux mouvements, ainsi qu’aux sons.
Et en l’occurrence, cela ne nous n’étonnerait guère que Jeanne souffre d’autisme, elle qui préfère bricoler des attractions miniatures dans sa chambre plutôt que de dialoguer avec autrui, elle qui éprouve d’ailleurs des difficultés à s’exprimer, tandis que Marc (Bastien Bouillon), le manager du parc, lui cours gentiment après, sans qu’elle y soit sensible, et que sa mère (Emmanuelle Bercot), très entreprenante avec les hommes (tout en cachant une douleur) et à la personnalité opposée, la pousse à se retrancher sur elle-même, dans son monde extra-sensoriel.
Tandis que certaines effets nous font curieusement, et agréablement penser au cinéma de Spielberg, "Jumbo" possède une double lecture dans la mise en scène de cette curieuse histoire, soit d’une part réaliste dans la description psychologique de son personnage principal et son mal-être, et d’autre part fantasmagorique dans sa manière de l’extérioriser. En effet, il faut bien avouer qu’il n’est pas commun de voir un être humain avoir un orgasme avec un tas de ferraille qui, en plus, peut rouiller... Vous comprendrez par cette dernière phrase que l’humour s’invite aussi ici en fonctionne du degré d’incompréhension de la situation par la maman de Jeanne, parvenant après tout à la croire, mais sans l’accepter...
Zoé Wittock nous invite à un étrange tour de manège avec "Jumbo", soit un cinéma de genre situé entre deux eaux, porté par l’interprétation transcendée de Noémie Merlant, et un travail visuel alléchant, à la frontière du réel.