Signe(s) particulier(s) :
– basé sur l’article "The Lawyer Who Became DuPont’s Worst Nightmare" de Nathaniel Rich, publié en 2016 dans le New York Times Magazine, et revenant sur l’histoire vraie de l’avocat Robert Bilott, qui a dénoncé les pratiques toxiques et non-réglementées de l’entreprise chimique DuPont ;
– ironie du sort, c’est la seconde fois où Mark Ruffalo joue un personnage qui se frotte à la famille du Pont, puisque déjà dans le film "Foxcatcher" (2014) de Bennett Miller, l’acteur incarnait le lutteur Dave Schultz, qui s’est fait assassiner par John Eleuthère du Pont (Steve Carell), héritier de la famille.
Résumé : Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques. Interpellé par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une usine du puissant groupe chimique DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa propre vie...
La critique de Julien
Croyez-le ou non, mais à la sortie de ce film, vous ne regardez plus vos poêles en Téflon de la même manière. Mais encore faut-il qu’il vous en reste. Si tel est le cas, débarrassez-vous en !
C’est après avoir été approché par l’acteur Mark Ruffalo et la société de production Participant Media que Todd Haynes a accepté de mettre en scène dans un style extrêmement réaliste cette terrible histoire liée à la société américaine DuPont, laquelle a alors utilisé un composé chimique synthétique (non produit par la nature) toxique nommé "acide perfluoro-octanoïque" (PFOA) qui n’est autre qu’un agent de traitement du Téflon, utilisé notamment pour la fabrication d’ustensiles par des millions de foyers américains, et mondiaux. Mais tout en sachant délibérément qu’il provoquait le cancer et des malformations congénitales, en n’ayant jamais cependant rendu les résultats de ses études publics, DuPont a déversé des centaines de gallons de boues toxiques dans l’Etat de Virginie-Occidentale, contaminant ainsi l’eau potable, et donc ses résidents, tandis qu’il a été révélé qu’il existe bel et bien un lien probable entre le PFOA et le cancer du rein, le cancer des testicules, la maladie thyroïdienne, le taux de cholestérol élevé, la pré-éclampsie, ou encore et la colite ulcéreuse. "Dark Waters" revient ainsi sur cette histoire, racontée du point de vue de Robert Bilott (Mark Ruffalo), un avocat de la défense d’entreprise, travaillant auparavant pour le cabinet d’avocats Taft Stettinius & Hollister à Cincinnati, dont la spécialité était de défendre les sociétés chimiques, avant de prendre un virage à 180 degrés et de représenter un fermier, Wilbur Tennant, à Parkersburg, dont le bétail était en train de mourir, victime lui aussi du PFOA, alors que la ferme était située en aval d’une décharge où DuPont avait déversé ses produits.
Ce sont bien ici toutes les grandes entreprises qui sont ici pointées du doigt par leurs innombrables pratiques malhonnêtes, enfreignant la loi depuis des années, bien que DuPont, lui, n’utilise plus ce composé depuis 2015 (deux ans plus tôt selon d’autres sources), mais a bien essuyé plusieurs condamnations et amendes, tout en étant toujours actuellement attaqué en justice par Robert Bilott, lequel y a déjà porté l’affaire de quelques 3500 victimes, en remportant ainsi ses trois premiers règlements par plusieurs millions de dollars, avant que DuPont ne règle un recours collectif pour 671 millions de dollars. Mais cela ne suffit pas, et surtout ne représente rien face aux bénéfices annuel de l’entreprise...
En privilégiant l’authenticité du récit et une approche quasi-documentaire, Todd Haynes a ainsi décidé de tourner en décors naturels à Cincinnati et en Virginie-Occidentale, tout comme il a pu filmer le cœur du quartier d’affaires de Cincinnati, ainsi que les véritables bureaux de Taft. Le résultat réside alors en un film qui ne passe pas par quatre-chemins autour de son sujet, et ose montrer et dire les choses telles qu’elles ont été, et sont encore. Et cela froid dans le dos ! Passionnant, "Dark Waters" n’en demeure pas moins révoltant par ce qu’il nous montre et défend, à savoir la condamnation, la réparation, et le suivi médical et les soins de nombreux (actuels et futurs) malades, contaminés par les déchets issus des productions de DuPont. En effet, aucune somme d’argent ne pourra réparer les dommages physiques de ces pauvres victimes, alors que la société américaine n’a volontairement jamais décidé d’agir pour prévenir des préjudices, malgré les informations dont elle disposait...
Mark Ruffalo incarne alors ici une figure de combativité à toute épreuve, lui dont le personnage réel a tout risqué pour défendre des milliers de personnes, en se lançant quasi-seul dans l’arène face à l’un des plus grands groupes industriels de chimie au monde, alors qu’il travaillait au départ comme l’un de ses défenseurs ! Également producteur du film, on sent donc l’acteur particulièrement habité par son rôle, et surtout porteur d’un message politique et militant extrêmement fort, et réfléchi. Maintenant, le film en lui-même n’est pas aussi original sur la forme que sur le fond, en privilégiant une mise en scène immersive et épurée dans ses effets, entre drame et le thriller, mais sans grande surprise pour raconter cette histoire, absolument saisissante.
Récit d’une bataille qui nous touche de bien plus près qu’on ne le pense (99% des êtres vivants sont ici concernés par la contamination au PFOA), "Dark Waters" est un film de nécessité publique, qui conscientise, et nous montre que l’humain, sans doute la plus complexe des espèces vivantes, en pleine contradiction avec elle-même, s’empoissonne volontairement pour s’enrichir.
➡ Vu au cinéma Acinapolis Jambes