Signe(s) particulier(s) :
– premier long métrage de la réalisatrice allemande Nora Fingscheidt ;
– prix Alfred Bauer à la Berlinale 2019 et représentant de l’Allemagne dans la course aux Oscars 2020 dans la catégorie "Meilleur film international", n’ayant cependant pas été retenu parmi les cinq derniers finalistes ;
– le titre originale du film "System crasher" est une appellation non-officielle désignant les enfants pour lesquels le système actuel ne peut rien.
Résumé : Benni est une fille sauvage de neuf ans traumatisée et agressive. Comme sa mère célibataire est incapable de s’en occuper, les services sociaux en ont la charge et essaient de lui trouver un environnement favorable. Aucune solution permanente ne semble fonctionner. Son dernier espoir réside dans la personne de Micha, un éducateur spécialisé dans les adolescents à problèmes. Après avoir passé quelques semaines ensemble dans la forêt, un tournant majeur semble se dessiner.
La critique de Julien
Portrait d’une fillette de neuf ans souffrant d’un grave traumatisme survenu durant l’enfance, laquelle ne parvient pas à canaliser sa colère, passant alors d’écoles spécialisées à des familles d’accueil ou des groupes résidentiels, sans que personne ne puisse la supporter longtemps, "System Crasher" est un film coup de poing, réussissant à éveiller les consciences et nous faire comprendre les enfants gravement perturbés, et cela avec une énorme empathie, malgré nos interprétations hâtives et humaines de comportements à priori inappropriés.
Ecrit tout au long d’une période de cinq années de recherches et d’intégration sur le terrain pour sa réalisatrice, "System Crasher" se révèle être un plaidoyer sauvage et réaliste vis-à-vis des dysfonctionnements de notre système social et éducatif actuel dans l’accompagnement incompatible de certains profils victimisés (notamment en raison de l’âge d’admission, comme c’est le cas ici), et rappelant également nos responsabilités de parents envers nos enfants. Le film met aussi en lumière le travail exceptionnel et dévoué des agents sociaux et de la protection de la jeunesse, prêts à tout pour sauver ces individus, à les valoriser et les réinsérer dans la vie active, et société normée.
Il n’est donc aucunement question ici à la base d’une étude de cas d’enfant situé en pleine puberté, mais bien des lourdes conséquences d’un trauma porté à l’encontre d’un enfant, et, in fine, du manque de moyens et de suivi destinés à celui-ci, outre que l’enfermement et la médecine dure (certaines scènes sont ainsi très dures).
S’il laisse sans voix à son issue par ses choix électriques de mise en scène (dont sa musique, éclectique et en accord de John Gürtler, récompensé ici de l’European Film Award 2019 pour son travail) mais invite aussitôt à la parole sur le fond, "System Crasher" expose le talent brut de Nora Fingscheidt, laquelle parvient à filmer une expérience de cinéma audiovisuelle, reflétant une situation de réalité, et pourtant soit-disant bien pire quand on quitte la fiction, d’après ses propos. Mais ce que nous montre le film nous laisse suffisamment imaginer l’enfer et surtout la solitude vécue par ces êtres incompris, qui ne cherchent finalement que de l’attention et de l’amour, qu’elle vienne d’une mère, d’un père, d’un autre membre familial, ou d’un accompagnateur en tant que figure parentale, même si des limites sont à ne pas franchir, ce qu’un entraîneur anti-agression (Micha) ne parviendra pas ici à tenir, étant donné son affection pour Benni, que l’on comprend, évidemment. En effet, la réalisatrice et sa jeune actrice Helena Zengel rendent ce personnage certes détestable de premier abord, mais envers lequel on en vient petit à petit à ne plus lui en vouloir pour ses faits et gestes, car rien n’est, tout simplement, de sa faute. Et cette émotion est renforcée par la culpabilité ressentie par Benni, elle qui se rend compte que ce qu’elle fait (indirectement) l’empêche d’avoir une vie normale, et ainsi de retrouver sa mère, elle qui a peur elle-même de sa propre fille.
Fugace et intrépide par la forte personnalité vulnérable et en émoi de son jeune personnage, "System Crasher" est une boule d’énergie qui explose au visage du spectateur autant qu’elle le réconforte, notamment par ses intenses moments infantiles de douceur, et d’échanges avec l’adulte, en compréhension et confiance. Mais le film déstabilise aussi, et pose de nombreuses questions. En effet, et si nous avions échoués ?
Puissant, profondément humain (dans toute la complexité de ses sentiments) et immersif, le premier film de Nora Fingscheidt ne laissera personne indifférent. Entre amertume et optimisme, la cinéaste pose alors en regard l’être humain face à ses responsabilités et aux limites qui façonnent la société dans laquelle il évolue et participe (sans toujours agir habilement), alors qu’en subissent de plein fouet d’innombrables victimes.
➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux