Signe(s) particulier(s) :
– librement inspiré du film argentin "Acusada" (2019) de Gonzalo Tobal ;
– troisième long métrage du cinéaste Stéphane Demoustier, lui qui n’est autre que le frère aîné de l’actrice Anaïs Demoustier, qu’il dirige d’ailleurs ici dans le rôle d’un procureur de justice ;
– le président du tribunal de Nantes (où le procès fictif a été tourné) est joué ici par un vrai avocat, Pascal-Pierre Garbarini.
Résumé : Lise, 18 ans, vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d’avoir son bac. Mais depuis deux ans, Lise porte un bracelet car elle est accusée d’avoir assassiné sa meilleure amie.
La critique de Julien
Lise est-elle coupable du meurtre de sa meilleure amie, survenu deux ans plus tôt ? Mais qui est réellement cette Lise ? Stéphane Demoustier filme ici le procès en cour d’assise d’une demoiselle de 17 ans, coupable présumée d’une sordide affaire, mais sans jamais juger son personnage ou prendre parti, nous laissant ainsi le choix de nous faire notre propre opinion, tandis qu’il confronte deux générations distinctes (les adultes et les adolescents), incapables de se comprendre, et cela par le biais de l’étrange personnalité non-conforme et de la sexualité débridée de sa jeune accusée.
"La Fille au Bracelet" n’est pas donc là pour mettre le doigt sur le véritable coupable de cette histoire judiciaire et tout le remue-ménage qui va avec, mais bien de poser un juste regard sur la situation, avec donc raison et justice, et de reconstruire les événements survenus deux ans plus tôt, lesquels ont changé la vie de la demoiselle. Ne quittant que très peu le tribunal, le spectateur est alors amené à découvrir, en même temps que le procès, les pièces à conviction et autres témoignages qui serviront plus tard à la cour, afin de rendre son verdict. Et force est de constater que le manque de preuves tangibles est ici énorme, bien que le jugement envers cette accusée, par son comportement indifférent et silencieux, mais aussi ses attitudes non-attendues, laissent présumer ici sa culpabilité. Dès lors, le film interroge sur la justice elle-même, elle qui doit juger non pas l’attitude d’un accusé et sa façon de vivre, parfois immorale, mais bien les corps de délit matériels, et preuves à conviction quelles qu’elles soient.
En offrant à son personnage principal une possible innocence dans les faits, Stéphane Demoustier témoigne aussi du poids d’une accusation parfois infondée sur la vie d’un individu, l’unité familiale ayant ici explosée, en témoigne l’incapacité de sa maman (Chiara Mastroianni) à revivre cela, et donc à physiquement soutenir sa fille. Sans parler de l’isolement, Lise ayant d’abord passé ici par la case prison, puis en liberté surveillée, avec un bracelet électronique attaché à une de ses chevilles. Et on ne parle même pas des conséquences sur sa vie future, étant donné un casier judiciaire probablement marqué au fer rouge par cette affaire. Mais les trop nombreux indices, parfois un peu trop hasardeux, auront réussi à lui porter préjudice, en tous cas suffisamment pour être inculpé et incarcérée.
Pour incarner ce mystère et cette jeunesse, disons "ouverte", Stéphane Demoustier filme ici l’actrice Melissa Guers, pour ce qui s’avère être ses premiers pas au cinéma. Et quel jeu, absolument tétanisant, et d’une froideur déconcertante, elle qui est donc capable de supporter les silences, et dès lors de prendre du recul sur son rôle. Roschdy Zem complète le casting dans le rôle du père, inébranlable, mais que certaines révélations viendront pourtant perturber, ou encore Anaïs Demoustier, dans le rôle de l’avocat général biaisé par ses interprétations personnelles, et donc ses opinions, à défaut de véritables preuves.
Jamais le doute ne se dissipe finalement dans ce film, plus proche, il est vrai, du téléfilm que du grand film de cinéma, tandis qu’une certaine tension l’habite en attente de réponses. Son issue pourra alors en déranger certains, étant donné la retenue et les choix très intéressants développés par le réalisateur, qui ne livre pas ici un plaidoyer contre un accusé, mais bien contre une justice qui se doit d’être incorruptible, et irrépréhensible dans ses jugements, fondés sur la vérité et non pas sur des interprétations, qui ne le sont dès lors pas.
S’il n’est pas nécessaire de le voir au cinéma, "La Fille au Bracelet" pose ici en accusateur l’altérité des comportements des générations, plutôt que des preuves, envers lesquelles la justice doit pourtant se référer, tout en rendant parfois des comptes aux premiers. Stéphane Demoustier réussit alors un film dense, intriguant, immersif, et portant un point de vue inédit sur une affaire, et quasi-huit clos judiciaire.
➡ Vu au cinéma Caméo des Grignoux