Signe(s) particulier(s) :
– initialement intitulé "La Frontière", "Filles de Joie" est le cinquième long métrage du réalisateur belge Frédéric Fonteyne, lequel est rejoint par Anne Paulicévich, scénariste et directrice artistique du film, accréditée ici comme co-réalisatrice.
Résumé : Axelle, Dominique et Conso partagent un secret. Elles mènent une double vie. Elles se retrouvent tous les matins sur le parking de la cité pour prendre la route et aller travailler de l’autre côté de la frontière. Là, elles deviennent Athéna, Circé et Héra dans une maison close. Filles de joie, héroïnes du quotidien, chacune se bat pour sa famille, pour garder sa dignité. Mais quand la vie de l’une est en danger, elles s’unissent pour faire face à l’adversité.
La critique de Julien
Présenté en avant-première lors d’un Cinevox Happening exceptionnel dans certaines salles du pays en amont de la diffusion sur grand écran de la dixième édition des Magritte du Cinéma le 01 février dernier, "Filles de Joie" nous emmène à la rencontre de trois amies et femmes d’aujourd’hui, lesquelles s’adonnent à de la prostitution de l’autre côté de la frontière, en Belgique, afin de joindre les deux bouts.
"Filles de Joie" débute par ce qui ressemble au dénouement du film, où les trois femmes enterrent un corps non loin d’un chantier, sous un orage de plomb. Puis, le réalisateur, Frédéric Fonteyne, choisit d’opérer un flashback qui nous permettra de comprendre comment elles en sont arrivées là. Il sera dès lors aussi question (dans la première partie du film) de revivre une même journée mais selon le point de vue de chacune des héroïnes du film, cela afin d’en faire la connaissance, de développer leur psychologie, et les enjeux personnels qui les motivent à choisir elles-mêmes les armes pour mener leur combat au quotidien. Il y a ainsi Axelle (Sara Forestier), qui travaille comme serveuse, elle qui vit avec sa mère, et qui a trois enfants, bien que séparée de leur père (Nicolas Cazalé), très menaçant. Puis, Conso (Annabelle Lengronne), une belle jeune femme noire de 30 ans, vivant dans le même immeuble qu’Axelle, elle qui est un peu naïve et croit en l’amour avec son amant (Jonas Bloquet), fraîchement père (ce qu’elle ne le sait pas encore). Enfin, il y a Dominique (Noémie Lvovsky), celle qu’elles surnomment "maman", une infirmière qui vit dans une petite maison dans la même cité qu’elles, elle qui est mariée, et mère de deux adolescents gâtés, mais avec qui l’entente est (très) compliquée. En posant dans son intrigue une arme à feu venant aiguiser nos intuitions quant à cette scène finale, la scénariste du film Anne Paulicevich s’inspire ici d’un article racontant la double vie menée par des femmes s’occupant de leurs enfants le matin, avant de partir se prostituer de l’autre côté de la frontière, par choix, à quelques kilomètres de chez elles, là où les bordels sont légaux.
En décidant d’installer une tension dramatique et relationnelle toxique venant quelque peu galvauder la démarche des cinéastes de nous parler d’héroïsme féminin, et donc de femmes maîtresses de leur destin, lesquelles décident d’utiliser ici leur corps pour gagner en partie leur vie, "Filles de Joie" passe majoritairement à côté de son sujet, soit celui de nous montrer aussi l’envers du décor des maisons closes. On aurait certainement préféré, par exemple, être spectateur du moment de basculement personnel de chacune d’elle dans cette vie, où vendre son corps a sens doute dû se révéler humiliant et traumatisant, avant peut-être de s’y habituer, bien que cela n’a pas dû être facile. Cela aurait ainsi pu appuyer davantage et porter cette image de femmes fortes, forcées à se battre suite à leur situation de précarité dans la société actuelle, et donc de se donner, ici, littéralement. La pro
fondeur du récit et l’urgence de la situation auraient ainsi gagné en puissance. Qu’à cela ne tienne, les trois actrices interprètent ici des personnages charismatiques, courageux et déterminés, mais surtout fictifs, que l’entraide semble unir bien plus que tout le reste, bien plus que ce que leur propre famille leur apporte à chacune d’elles, malgré le fait qu’elles se battent pour elle... Dès lors, les intentions de cette histoire sont un peu confuses, vis-à-vis de ce que cette dernière était censée montrer, de prime abord.
Au-delà de ces retenues, on apprécie énormément le regard des cinéastes envers leurs personnages, qui ne les jugent jamais, mais qui ne les confrontent que trop peu à leur choix. On a ainsi l’impression que celui-ci fait maintenant partie intégrante de leur vie, et qu’elles vivent avec, sans en supporter davantage le poids moral ou corporel. Maintenant, celui-ci est suggéré, notamment par le personnage de Noémie Lvovsky, qui vient à dégénérer lors d’une scène, où de terribles propos sont dits entre elles, son mari et ses enfants, eux qui s’exclament de ne pas la connaître, et elle de même envers eux, bien que cela ne l’empêche pas de les aimer, et de faire "tout ça" pour eux... Enfin, le récit, qui nous invite tout de même à pénétrer dans un bordel, ne nous cache pas le fonctionnement d’un tel établissement, et des services qui y sont proposés, ainsi que de la consommation d’articles faisant augmenter la facture (salée) du client, pendant ou en attente de la prestation. Sans oublier les corps dénudés.
Se dispersant dans une intrigue dramatique et un montage tous deux peu pertinents, malgré une caméra au plus près des personnages et de leur condition actuelle, "Filles de Joie" montre la solidarité féminine davantage que la prostitution et son acheminement social, lequel ne va pas jusqu’au bout de ses humbles volontés.
Vu au cinéma Caméo des Grignoux