Signe(s) particulier(s) :
– s’inspire de faits réels, et plus précisément sur les accusations de harcèlement sexuel lancées en 2016 par Gretchen Carlson et Megyn Kelly à l’encontre de Roger Ailes, cofondateur de Fox News Channel (décédé en mai 2017), lesquelles ont conduit à sa chute ;
– dans la course aux Oscar avec trois nominations (meilleure actrice pour Charlize Theron, meilleure actrice dans un second rôle pour Margot Robbie et meilleurs maquillages et coiffures).
Résumé : Plusieurs femmes travaillant pour Fox News ont plusieurs altercations avec le cofondateur de la chaîne, Roger Ailes. Elles vont tenter de briser la « loi du silence » à propos du harcèlement sexuel.
La critique de Julien
Les films post-"#MeToo" sont désormais légion à Hollywood. Et on comprend bien pourquoi. Bien que l’affaire Weinstein est à l’origine de l’un des plus retentissants scandales sexuels, lequel a permis de nombreuses victimes à dénoncer les abus sexuels dont elles ont été (sont) victimes, il y a eu quelques mois avant lui le cas de l’ex-cofondateur de Fox News, Roger Ailes, déchu de son piédestal en juillet 2016 suite à de nombreux témoignages d’harcèlements sexuels émis par des femmes qu’il employait, et envers lesquelles il prenait des mesures de représailles (réductions de salaire, licenciements, etc.) lorsqu’il n’obtenait pas ce qu’il voulait... Moins médiatisé chez nous, ce scandale obligea Fox News à s’en débarrasser tout en lui versant la bagatelle somme de quarante millions de dollars de compensation. Rien que ça. "Scandale" revient aujourd’hui sur cette affaire, dans un film qui n’a (plus) peur de rien, aussi éloquent que libérateur, et qui a beaucoup de choses intéressantes à dire.
Réalisé par Jay Roach, à qui l’on doit des films allant de "Austin Powers" (1997) au remake américain du "Dîner de Cons" de Francis Veber - "The Dinner" (2010), mais surtout "Trumbo" (2015), "Scandale" est surtout scénarisé par Charles Randolph, à qui l’on doit le scénario adapté du film "The Big Short" (2015) d’Adam McKay, lequel revenait alors sur les intervenants financiers qui, dès 2005, avaient anticipé la crise des subprimes (2007), et la crise bancaire et financière de l’automne 2008. Ensemble, ils réussissent à relater l’une des pages sombres de Fox News Channel, soit la chaîne de télévision d’information en continu la plus regardée aux États-Unis, elle qui est réputée pour favoriser les positions politiques conservatrices, et qui aurait d’ailleurs contribué, selon des études, à la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle en 2016, tel que nous le montre d’ailleurs le film...
Révélateur, le film pointe alors du doigt l’envers des décors des plateaux TV et ses diktats, sa soumission féminine de toute part, et sa misogyne en général. "Scandale" met alors en lumière l’histoire vraie de Gretchen Carlson (Nicole Kidman), qui, suite à l’expiration de son contrat avec Fox News en 2016 - tout en l’ayant prédit - a intenté des poursuites contre Roger Ailes, alors président et chef de la direction de Fox News, pour harcèlement sexuel, elle qui s’était vu refuser son programme pour avoir refusé les avances sexuelles d’Ailes. Sa prise de parole, courageuse, a alors embrayé le pas d’autres femmes, telle que Megyn Kelly (Charlize Theron), une célèbre journaliste controversée, ayant obtenu une notoriété mondiale suite à une interview où elle avait interrogé le candidat Donald Trump sur son sexisme lors des débats des primaires républicaines. Ailes aurait alors tenté de forcer à l’embrasser sur les lèvres, en janvier 2006, et d’autres fois encore, avant de ne jamais plus recommencer, et de tenir dorénavant une relation professionnelle avec elle, ce qui ne fut pas le cas de bien d’autres femmes. Mais le scénariste a eu la bonne idée ici de nous présenter un personnage fictif (Kayla Pospisil, jouée par Margot Robbie), tombant dans le piège de l’harceleur, telle que le sont tombées Gretchen Carlson et Megyn Kelly à l’époque, ce qui nous pousse à ressentir toute l’humiliation, la dégradation du harcèlement sexuel subie par ces femmes, afin de pouvoir garder leur boulot, ou gravir les échelons dans ce monde de prédateurs sexuels. Cependant, certains passages sont nourris d’authentiques témoignages sur le comportement de Roger Ailes à l’encontre de femmes ayant porté plainte, via ce personnage, et dont on ressent ici tout le poids et désarroi. Et une fois de plus, Margot Robbie est très convaincante dans son rôle, elle qui forme avec Nicole Kidman et Charlize Theron un trio féminin d’une force à toute épreuve. D’ailleurs, on félicite Charlize Theron de s’être lancée dans ce rôle, elle qui était, au départ, réticente d’incarner Megan Kelly, étant donné qu’elle ne l’approuve humainement et idéologiquement pas, bien qu’elle ait fini par relever ce défi complexe pour la portée de ses messages, qui comptent réellement. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si l’actrice est aussi l’une des productrices du film...
Avec "Scandale", Jay Roach livre un film qui en dit long sur le monde du petit écran, et bien plus encore dans un milieu conservateur, notamment via le segment joué par Kate McKinnon, dans la peau de Jess Carr, la collègue de bureau de Kayla Pospisil, alors lesbienne. Bien consciente de ce qu’est en train de vivre sa ravissante et nouvelle collègue naïve avec Roger Ailes, elle lui fermera cependant les yeux, dans le but de se protéger elle-même, étant donné la peur d’être mêlée à cette histoire, et de perdre son job, et pire encore. Vis-à-vis également du personnage joué par Megan Kelly, le scénario pousse à réfléchir à toutes ces victimes qui auraient pu parler bien avant, ce qui aurait sans doute pu empêcher (dans le meilleur des cas) d’autres femmes de subir du harcèlement après elles. Le poids de la culpabilité se fait alors ressentir, et le film parvient à témoigner de la complexité d’une telle responsabilité, qui n’en est évidemment pas une, étant donné que la victime n’est en rien coupable dans les agissements nauséabonds que bien des personnes s’octroient sur le trône du pouvoir, et de l’argent...
Percutant de vérité, le film n’en subit pas moins les foudres de certaines critiques, notamment parce que les actrices ne seraient pas en position légitime de défendre ce film et de jouer leur personnage féministe, et cela parce qu’elles seraient soi-disant trop maquillées, ou refaites pour certaines, ce qui ne favoriserait pas d’une part leur position face à l’homme, et qui n’aiderait pas non plus à gratifier l’image de la femme, obligée de se barioler pour être à la hauteur de la portée de son message. Ridicule, car en quoi le physique délégitime-t-il la prise de parole, et la dénonciation ?
Parfois confus dans sa narration, et manquant de répondant, ce thriller politique réussit à nous immerger dans un monde où la loi du silence et le chantage sexuel primaient autrefois sur le bien-être et le respect d’autrui. Abordé sur un ton cinglant, et rythmé d’un bout à l’autre, "Scandale", porté par un trio d’actrices engagées, témoigne avec pertinence et détermination de l’importance de libérer la parole. Comme on dit, la vérité triomphe toujours ! Maintenant, attention, car il ne faudrait pas non plus que le mouvement "#MeToo" devienne une marque de fabrique hollywoodienne...
Vu au cinéma Acinapolis Jambes