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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Lisa Cholodenko / Michael Dinner / Susanna Grant
Unbelievable : Le pire, c’est que tout est vrai
Une série en 8 épisodes sur Netflix
Article mis en ligne le 28 janvier 2020

par Charles De Clercq

Point particulier : l’histoire est adaptée de « An unbelievable story of rape », un article signé T. Christian Miller et Ken Armstrong, et récompensé du prestigieux prix Pulitzer. Il relate une série de viols commis par un vétéran américain dans les états de Washington et du Colorado, entre 2008 et 2011. Sa première victime, Marie, n’ayant pas été crue par la police, le violeur a pu « agir » en toute impunité jusqu’à ce que 2 inspectrices, Edna Hendershot et Stacy Galbraith s’emparent de l’enquête et identifient ce serial rapist.

Une fois n’est pas coutume, je vais spoiler tout de suite ma conclusion : il faut ABSOLUMENT voir Unbelievable, la pépite actuelle du catalogue de Netflix. Cette série qui parle ouvertement de viol est une plongée captivante, oppressante et glaçante dans les souffrances des victimes. Mais surtout, elle aborde de front leur double peine en décortiquant le mécanisme de la décrédibilisation. Et le plus intéressant, de ce point de vue, c’est que la mise en doute initiale du témoignage ne vient pas d’un homme.

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Le début

Mais commençons par l’histoire.
Lynnwood, Washington. Marie, 18 ans, vit dans une résidence pour jeunes adultes en difficulté. En pleine nuit, dans sa chambre, elle se fait agresser et violer par un inconnu armé d’un couteau.
L’enfer continue… presque pire, il ne fait que commencer : son témoignage est rapidement mis en doute par la police et Marie est poursuivie par la justice pour faux témoignage.
Pourtant, au premier policier arrivé sur place, elle raconte tout. Première épreuve.
« Que s’est-il passé ?
Que faisiez-vous auparavant ? Vous êtes sortie ?
Il vous a pénétré avec ses doigts ou son pénis ? 
 »
Les questions se succèdent.
Pas le temps de souffler, elle doit raconter maintenant ce qu’il s’est passé à l’inspecteur en charge de l’enquête. Et rebelote à l’hôpital pendant l’examen médical. Et encore, de nouveau, à l’inspecteur, mais cette fois au poste de police.
Et gare à toi, ma fille, si, sous le choc, la sidération, l’émotion, tu oublies des détails ou n’emploie pas les mêmes termes exacts.
« Vous étiez ligotée. Mais alors vous avez réussi à vous détacher après ou avant de téléphoner ? »

Ce premier épisode

est sans conteste le plus éprouvant, le plus étouffant, car on revit avec Marie chaque étape : le viol, l’examen médical - certes indispensable mais très froid, très clinique, presque déshumanisé - les interrogatoires et surtout la mise en doute progressive de son témoignage. Sous la pression, Marie craque et explique avoir menti. Son entourage la rejette, elle perd son emploi et son logement.
Le mécanisme psychologique est parfaitement décortiqué.

Pourquoi ce rebondissement ? Parce que Marie est une jeune femme un peu fragile, perturbée - ballottée de familles d’accueil en foyers, on le serait à moins - et que sa façon de surmonter ce traumatisme ne colle pas à l’idée que la société se fait d’une victime. Il faudrait qu’elle soit recroquevillée, prostrée, qu’elle n’ait pas envie de racheter le drap identique que celui utilisé dans son lit cette nuit-là.
Et, je le disais, l’un des points le plus intéressant du scénario c’est que la mise en doute initiale ne vient pas d’un homme mais d’une femme. Adulte, expérimentée. L’une de ses mères d’accueil, Judith, elle-même victime d’abus sexuel plusieurs années auparavant. Comme s’il n’y avait qu’une seule « bonne manière » de réagir après un viol. Comme s’il existait un « guide de la victime parfaite »
On ne le répétera jamais assez : non, il n’y a pas qu’une seule façon de surmonter ce traumatisme. Une femme fait ce qu’elle peut, avec ce qu’elle a, et surtout ce qu’elle est.

Dès le 2ème épisode,

est introduit un récit en parallèle : celui de l’enquête proprement dite. Nous sommes dans le Colorado, trois ans après les faits. L’inspectrice Karen Duvall enquête sur plusieurs viols qui semblent similaires à celui de Marie, dont elle ignore tout. Elle a l’intuition - juste - qu’il s’agit d’un violeur en série, qui redouble de violence et peaufine ses « techniques » à chaque agression. Par un pur hasard, elle fait le lien avec d’autres affaires, dans le même Etat mais dans un autre comté, rassemble patiemment le puzzle, épaulée par une inspectrice émérite, Grace Rasmussen.


L’avis de Delphine

Pas d’esbrouffe dans la mise en scène, sobre, méthodique. Les séquences en montage parallèle donnent le rythme, dosant savamment le suspense, mais surtout, nous font réellement vivre l’enquête. On n’est pas simple spectateur.trice, on « est » aux côtés des inspectrices.
La narration est simple, c’est vrai, mais comme les dialogues, ciselés, emportent tout, ce serait presque « criminel » d’en rajouter.

Le duo de flics est admirablement complémentaire, entre une Karen Duvall douce, patiente, tenace malgré son manque de confiance en elle, et une Grace Rasmussen, plus « masculine » grande gueule, susceptible, irascible, impatiente, indépendante. Les deux se reniflent, s’apprivoisent, s’estiment et ont des échanges savoureux : Grace, athée convaincue, confie « Je vous envie, les croyants. J’aimerais avoir la foi  ». Karen, chrétienne pratiquante lui répond «  Voir tout ce qu’on voit c’est déjà difficile avec Dieu, je ne sais pas comment on peut faire sans ». Grace : « L’alcool ».

Et il fait du bien, ce personnage d’inspectrice chrétienne, loin des clichés véhiculés. Karen vit sa foi en toute sincérité, va à la messe, n’est pas prosélyte, doute parfois, ne fait aucun laïus moralisateur. Elle offre même l’une des scènes les plus bouleversantes (et elles sont nombreuses) : à une victime de viol, Amber, qui culpabilise (« je suis folle ») de réagir en achetant une arme - en désaccord total avec ses convictions profondes - et en couchant avec 2 hommes peu de temps après, Karen la rassure et l’encourage, sans jugement.
Rien que pour ces mots, on a envie de l’embrasser !

On a même envie d’embrasser tout le trio d’actrices, Merrit Wever, Toni Collette et Kaitlyn Dever, tant elles sont unbelievable de talent.

Dans ce rôle de Karen Duvall, Merritt Wever (aux antipodes de son rôle de soeur névrosée dans Marriage Story) est absolument parfaite, toute en nuances, et même si la Grace Rasmussen est plus « convenue », Toni Collette y apporte son énergie, une fougue hargneuse idéale.

Enfin, dans le rôle de Marie, la jeune actrice Kaitlyn Dever est tout simplement unbelievable de justesse, de complexité et de vérité.
Il faut la voir, désabusée, animal traqué, se murant dans un silence provocateur puisque sa prise de parole courageuse n’avait visiblement pas été prise au sérieux.

Car c’est ce qui reste le plus effarant encore aujourd’hui - #metoo a libéré la parole des victimes, mais également le victim shaming -, une seule malheureuse lettre « i » révèle toujours un gouffre de « respectabilité » dans le traitement d’une victime de vol ou de viol : la première n’est jamais accusée de mentir…
Et encore, il s’agit dans cette histoire du cas le moins fréquent de viol, puisque 80% sont perpétrés par des proches de la victime.

Alors doit-on donc s’étonner que 8 victimes de viol sur 9 ne portent pas plainte ?



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