La critique de Delphine
LE LAC AUX OIES SAUVAGES : c’est noir, une ville, la nuit
Point particulier : présenté au 72ème festival de Cannes
Détail géographique : Wuhan est la capitale du Hubei, au coeur de la Chine.
Une ville tentaculaire, industrielle et commerciale, traversée par le fleuve Yang-Tsé et la rivière Han, qui abrite de nombreux lacs.
Foutu destin ! Forcément, quand deux familles mafieuses rivales se disputent le trafic de motos de la région, ça ne peut que tourner mal. Le règlement de comptes dégénère et conduit Zhou Zenong le héros, à abattre par erreur un policier.
Sa tête est mise à prix, la chasse à l’homme commence.
Pris en étau entre la mafia et la police, Zhou Zenong (Ge Hu) accepte la porte de sortie proposée par Liu Aiai (Gwei Lui Mei), une « baigneuse » (une prostituée) : puisque de toute façon, il ne s’en sortira pas, autant que la récompense accordée pour sa capture bénéficie à sa femme. Liu Aiai se charge de la lui remettre, moyennant une commission.
Sur le papier, l’intrigue est plus qu’alléchante, surtout quand on est fan de polars et de films noirs.
Pourtant, ma première sensation en sortant, était que ce « Lac aux oies sauvages » ne cassait pas trois pattes à un canard. Formule trop facilement lapidaire, j’en conviens, et même très injuste compte tenu de la beauté formelle de ce film. Car, beau - big up au directeur de la photographie Jingsong Dong - incontestablement, il l’est.
Le film s’ouvre sur le plan d’une gare, à Wuhan, dont les éclairages jaunâtres sont balayés par une pluie diluvienne. Dans cette nuit trempée, un homme sur le qui-vive s’abrite derrière un pilier, et est accosté par une femme. Un jeu du chat et de la souris s’installe, distillé tout au long du film, la méfiance comme fil rouge.
La pluie, la nuit, un héros désabusé, une femme mystérieuse…Diao Yinan, maîtrisant les codes du film noir, sait planter le décor et alterner les flash backs avec les scènes de temps présent.
Des scènes riches et réussies, comme cette réunion de mafieux dans l’arrière-salle de l’hôtel : elle est filmée comme une réunion classique de travail, avec des objectifs à atteindre - qui prend tel secteur, qui prend tel autre, le manager des truands attribuant les zones - il ne manquerait presque plus qu’un power point ou une conf call simultanée.
Une scène qui se réverbère ensuite à l’hôtel de police où le commissaire en charge de la traque, distribue les secteurs à quadriller par chaque équipe.
Il y a incontestablement aussi des hommages à Wong Kar-Wai : quand Liu Aiai remonte les escaliers dans ce quartier populaire et miséreux, comment ne pas penser à Madame Chan (Maggie Leung) allant acheter sa soupe de nouilles dans le sublimissime In the Mood for Love ?
Des images magnifiées même dans les scènes de violence - vous ne regarderez plus votre parapluie de la même façon - qui jalonnent le film. Ames sensibles, attendez-vous à sursauter régulièrement.
Diao Yinan sait nous faire ressentir cette sensation de piège qui se referme sur Zhou Zenong dans la course poursuite finale.
Oui, la réalisation est maîtrisée, la photo somptueuse, mais je n’ai pas réussi à me jeter à l’eau pour autant dans ce « Lac aux oies sauvages », au titre ironiquement et faussement romantique.
Peut-être parce que je ne me suis pas attachée aux personnages, dont j’ai trouvé les motivations déroutantes. Zhou Zenong, héros désabusé, fataliste, et Liu Aiai, la baigneuse audacieuse mais fuyante, m’ont laissée assez froide.
Il y a d’ailleurs quelque chose de déroutant à ne pas être séduite par un film auquel on n’a pas grand chose à reprocher.
Bref, je me suis ennuyée, mais devant des images somptueuses.
Et c’est déjà pas mal ! On aimerait que chaque film jugé « ennuyeux » soit aussi bien filmé.
Mauvais timing certainement, j’essaierai de revoir plus tard « Le lac aux oies sauvages » pour vérifier si je peux y piquer une tête et pas juste effleurer l’eau du bout des doigts.