Signe(s) particulier(s) :
– adaptation de la comédie musicale du même nom jouée pour la première fois en 1981 au New London Theatre, puis à Broadway, elle qui a notamment remporté 7 Tony (dont celui de la meilleure comédie musicale) et qui a été vue par 81 millions de spectateurs, en 19 langues et dans plus de 50 pays ;
– quelques jours après la sortie du film aux USA, la production a contacté les exploitants de cinéma pour leur annoncer qu’une nouvelle copie du film intégrant des effets visuels améliorés leur seraient envoyées, ce qui est une première dans l’histoire du cinéma pour un film largement diffusé...
Résumé : Une fois par an au cours d’une nuit extraordinaire, les Jellicle Cats se réunissent pour leur grand bal. Leur chef, Deuteronome, choisit celui qui pourra entrer au paradis de la Jellicosphère pour renaître dans une toute nouvelle vie.
La critique de Julien
18 juillet 2019. Une première bande-annonce de l’adaptation cinématographique de la comédie musicale à succès "Cats" était mise en ligne. Il ne faudra pas attendre très longtemps avant que celle-ci ne suscite de nombreuses réactions critiques, étant donné le rendu des transformations numériques des acteurs et actrices en chats humanoïdes. C’est que d’un point de vue technique, le maquillage et les costumes n’auraient pas été idéal pour des conditions de tournage, étant donné qu’ils risquaient respectivement de couler ou de gêner les acteurs dans leur chorégraphie...
Qu’importe, la réputation de cette comédie musicale, mise en scène par Tom Hopper, était déjà bien ternie. Sans parler des aveux récents du réalisateur, lors de la première mondiale du film, le 16 décembre dernier, lui qui a déclaré avoir terminé le film "à 8 heures du matin la veille, après 36 heures d’affilée", ce qui l’a encore plus égratigné. Mais, c’est finalement cette histoire d’envoi aux dirigeants de studios et propriétaires de salles de cinéma d’une nouvelle version du film avec "certains effets visuels améliorés" qui l’a définitivement enterré. Mais n’allons pas plus loin dans la réflexion, et donnons tout de suite notre au chat : "Cats" est un film-concept inabouti, très déconcertant, et vide.
Au départ, la pièce de théâtre "Cats" s’inspire du "Guide Des Chats Du Viel Opossum" de T.S. Eliot, soit un recueil de poèmes publié en 1939 par l’auteur, décrivant alors la vie des chats. C’est le compositeur Alan Rawsthorne qui sera le premier en 1954 à mettre en musique ces poèmes. Mais c’est bien à partir de 1981, grâce à Andrew Lloyd Webber, que l’œuvre de T.S. Eliot est devenue une comédie musicale à succès, jouée notamment 21 ans durant à Londres, et dont la chanson phare "Memory" est connue de tous. D’emblée, "Cats" a souffert de son adaptation au cinéma. Or, on le sait, le théâtre et le cinéma sont deux arts bien différents. Et parfois, il s’avère qu’une œuvre n’est tout simplement pas adaptable sous une autre forme. Et à la vue de ce film, on se dit que cette pièce musicale est de celle-là. Ou en tous cas, la manière, mise en place par Tom Hooper et Working Title, n’était pas la bonne.
Outre quelques libertés prises vis-à-vis de certains personnages, dont envers le rôle de Deutéronome joué ici par Judi Dench (qui, pour la petite anecdote, avait été choisie pour interpréter le rôle de Grizabella et Gumbie dans la production originale du spectacle en 1981, avant de se blesser au tendon d’Achille), cette adaptation co-scénarisée par Lee Hall ("Billy Eliott", "Cheval de Guerre", "Rocketman", etc.) et Tom Hooper a choisi de focaliser son histoire sur celle d’un... chat (!) que l’on suit alors tout au long du film. En effet, Victoria, un chaton blanc, a été abandonnée par son propriétaire, se retrouvant dans un groupe de chats de la tribu des "Jellicle Cats", le soir du grand bal, où le patriarche (Deuteronome) choisira celui qui pourra entrer au paradis de la Jellicosphère (Heaviside Layer en VO) afin de renaître dans une nouvelle vie.
Déjà présent dans la version scénique, ce personnage occupe ici le rôle central du film, lui qui pousse également la chansonnette avec la chanson "Beautiful Ghosts", composée par Andrew Lloyd Webber et Taylor Swift. Interprété par la danseuse étoile du Royal Ballet, Francesca Hayward, Victoria verra alors se succéder devant ses moustaches un ballet de chorégraphies, auxquelles elle prendra béatement part...
Sur papier, les enjeux scénaristiques de "Cats" paraissaient déjà assez faibles. Mais à l’écran, on touche carrément le fond de la litière, puisque le film ne raconte absolument rien de consistant. Or, pour réaliser un film, il faut avant tout un scénario. Tel que sur son adaptation des "Misérables" (2012) de Victor Hugo, Tom Hooper fatigue alors avec sa succession de scènes musicales à n’en plus finir, d’autant plus que l’identité même de cette adaptation dérange. En effet, quand on va voir une pièce de théâtre, on sait qu’il s’agit d’acteurs grimés interprétant des rôles (des chats dans son cas). De plus, il existe une mise en scène, considérée ici à l’époque comme "révolutionnaire" et comme "l’une des premières expériences théâtrales vraiment immersives", laquelle était alors accompagnée par une bande-originale à la fois chantée et parlée. Or, rien de tout cela ne fonctionne ici, en commençant par le visuel des acteurs, qui, dans la réalité, sur le plateau de tournage, portaient des combinaisons de capture de mouvement Xsens faites sur mesure, pour un résultat hybride, combinant réalité et animation, mais assez laid, et non-fini. Et puis, à quoi bon affûter les acteurs d’une peau de chat en images de synthèse, tout en leur permettant de conserver leurs pieds et mains humains ? Mais la palme du mauvais goût est sans doute attribuée aux cafards et souris sur lesquelles semblent avoir été greffé des visages humains. Et puis, que dire des décors flous sur fonds verts, reconstituant la capitale londonienne des années 30, aux tons fluo et bleuâtres ? De plus, le film, d’une durée de cent-dix minutes, ne compte que quelques décors, dans lesquels plusieurs chansons sont parfois chantées successivement... Épuisant.
Mais ne jugeons pas que par son physique, ni par le peu qu’il a à nous raconter. Parlons aussi de la bande-originale du film, fidèle à celle de la pièce. Tandis qu’elle porte le spectacle initial, nourrie par sa mise en scène, celle du film agace. Car en plus de raconter n’importe quoi (on aurait préféré ne pas voir les traductions), les tableaux musicaux ne sont guère audacieux, et se ressemblent. Notons tout de même qu’ils sont bien chantés et bien dansés (malgré une curieuse pose de pied au sol), et que certains d’entre eux sortent du lot, tels que "Skimbleshanks : The Railway Cat", "M. Mistoffelees" ou encore "Song of the Jellicles and the Jellicle Ball". Mention spéciale aussi à l’acteur Robbie Fairchild (Munkustrap), qui tire également son épingle du jeu, au contraire du reste du casting, perdu derrière une orgie d’effets visuels peu convaincants, voire parfois terrifiants...
À aucun moment donc le spectateur ne se retrouve plongé dans cette parade de chats humanoïdes, eux dont la taille ne respecte même pas une échelle réaliste de proportion par rapport aux décors dans lesquels ils s’affolent. Embarrassante adaptation qu’est donc ce "Cats", lequel restera sans doute comme le souffre-douleur de son réalisateur, tandis qu’Universal Studios n’a pas cherché à présenter son film aux Oscar, alors qu’un projet cinématographique comme celui-là est un produit dont la voix est initialement toute tracée pour les cérémonies de récompenses. À croire donc qu’il n’y a pas que nous qui souhaitons oublier ce film. Bref, la messe est dite. On rentre le griffes.