Signe(s) particulier(s) :
– second film du réalisateur, scénariste, acteur et metteur en scène de théâtre belge Laurent Micheli après "Even Lovers Get the Blues" (2016), récompensé à l’époque du Prix de la critique au Festival International du Film Francophone de Namur ;
– Prix Cinevox au Festival International du Film Francophone de Namur 2019.
Résumé : Alors que Lola, jeune fille transgenre de 18 ans, apprend qu’elle va enfin pouvoir se faire opérer, sa mère, qui devait la soutenir financièrement, décède. Afin de respecter ses dernières volontés, Lola et son père, qui ne se sont pas vus depuis deux ans et que tout oppose, sont obligés de se rendre jusqu’à la côte belge. En chemin, ils réaliseront que l’issue du voyage n’est peut-être pas celle à laquelle ils s’attendaient…
La critique de Julien
S’il y avait bien un cinéaste qui nous avait tapé dans l’œil après un premier film, c’est bien Laurent Micheli. En effet, il y a déjà trois ans que nous découvrions au Festival International du Film Francophone de Namur son premier film "Even Lovers Get the Blues", soit notre gros coup de cœur de cette édition, qui, au rythmé d’une bande-originale envoûtante, nous emmenait à la rencontre d’une bande de potes de notre génération, entre drame de vie, amour, sexualité, et quête d’identité. Un film qui nous parlait, électrisant, pop, fugueur, et sacrément bien fichu pour un film à petit budget. Ce portrait amoureux et sexuel d’une jeunesse désabusée avait alors remporté une multitude de prix internationaux, et avait aussi confirmé sa belle histoire avec deux nominations aux Magritte du cinéma 2018 (meilleur premier film et meilleur espoir féminin). C’est donc tout naturellement que l’on retrouve aujourd’hui le cinéaste avec un deuxième effort intitulé "Lova Vers la Mer", lequel confirme amplement tout le bien que l’on avait placé en lui, et en son cinéma.
À ne pas s’y méprendre, "Lova Vers la Mer" est le second film belge en quelques mois à traiter de la transidentité après "Girl" de Lukas Dhont (que l’on ne présente plus), au travers du regard d’une adolescente née dans le corps d’un garçon. D’emblée, là où la seule comparaison entre les deux films réside selon nous dans l’attente de leurs personnages principaux de la première opération qui leur permettra de s’épanouir comme une femme, elles qui sont en train de suivre un traitement hormonal à cet effet. Au-delà, la comparaison s’arrête nette. En effet, alors que le film de Lukas Dhont traitait du mal-être psychologique extrême qu’un être humain peut ressentir dans un corps qui n’est pas le sien (aggravé par une quête artistique absolue), "Lola Vers la Mer" prône davantage la cause trans dans sa démarche, et sa compréhension. Aussi, "Girl" faisait majoritairement vœu de silence sur les difficultés extérieures (dévalorisation, moquerie, etc.) que pouvait rencontrer son héroïne vis-à-vis de son cas, tandis que son entourage (dont son père, fusionnel) renforçait le sentiment d’abstraction relationnel qu’entretenait Lara avec autrui, et cela afin de se concentrer pleinement sur son rapport au corps, alors en pleine transition. Or, Lola, le personnage écrit par Laurent Micheli, n’a pas "la chance" d’avoir une famille aussi soucieuse et compréhensive... D’ailleurs, "Lola Vers la Mer" traite principalement du rapport conflictuel entre un père et son enfant trans.
Il est donc question ici de Lola, une jeune femme transgenre de dix-huit ans, étant sur le point de se faire opérer. Alors qu’elle vit depuis deux ans dans un foyer à Bruxelles, aidée par son ami Samir, la mort de sa mère la contraint à retrouver son père, que tout oppose. Lola et son père décideront alors, tant bien que mal, de faire chemin ensemble vers le littoral, afin de respecter les dernières volontés de la défunte...
S’il y bien un point qui mettra ici beaucoup de monde d’accord à la découverte de ce film, c’est bien la qualité de ses interprétations, emmenées par Mya Bollaers (une jeune actrice belge transgenre) faisant ici ses premiers pas au cinéma (en lice pour les Révélations aux César 2020), et Benoît Magimel. Et en l’occurrence, Laurent Micheli nous montre, grâce à une écriture sensible et délicate, que ces deux êtres bourrus se ressemblent (tel père, tel...), malgré les drames qui les (dés)unis, passés et actuels. Mais le cinéaste fait fort, et ne cherche pas ici à pointer la faute sur cet enfant, et encore moins sur ce père. Car ce dernier a vécu "l’enfer" par le passé, ou plutôt la peur de voir son enfant victime de crises de plus en plus envahissantes et incontrôlables dans son mal-être corporel, tel qu’il le témoignera à la patronne d’un bar à hôtesses (où ils passeront la nuit après une altercation). Car bien qu’il tente d’accepter la situation de son enfant, ce père ne parvient pas à le comprendre. Et cela est légitime en soi, car tout le monde ne possède pas les mêmes degrés d’interprétation, et d’acceptation. Ainsi, le cinéaste ne tente pas ici d’emmener ses personnages vers un futur commun en paix, mais bien de rouvrir le dialogue entre ces deux êtres mutuellement incompris, de recréer le contact si sèchement perdu quelques années auparavant, malgré les divergences et incompréhensions que ponctueront leur voyage. Mais il le fait toute de même dans une démarche qui va de l’avant, laissant outrepasser de zones de luminosité entre les orages, et des instants de pure magie et de frissons qui en disent long, comme celui que nous le dévoile l’affiche du film. Mya Bollaers et Benoît Magimel éclatent alors d’authenticité, au travers de caractères provocants, intenses, qui ne se laissent pas faire, et terriblement empathiques, eux qui laissent entrevoir des failles, au-delà donc de leur certaine rigidité émotionnelle.
Alors que l’on suit ce père et son enfant sur la route vers la mer du Nord depuis Bruxelles, "Lola Vers la Mer" joue ainsi de quelques artifices pour nous faire croire à ce trajet, qui se fait via des petites routes (improbable), plutôt que l’autoroute (ça aurait été plus vite) ! Amoureux du théâtre et du cinéma, Laurent Micheli confronte alors ses personnages à quelques embûches, tandis qu’il offre à sa mise en scène quelques décrochages électriques irréels et instants planants, notamment ceux où la bande-originale renvoie à la figure maternelle, aux sons de titres écoutés dans la voiture via un iPod dysfonctionnel. Aussi, le format d’image 4:3 permet de capter les visages des personnages, et ainsi de ne jamais les quitter, au-delà du cadre spatial qui les entoure. C’est finalement leur relation difficile, et l’instant présent confronté au passé, qui ressortent de leur périple, autour de la question trans. Enfin, et tandis qu’il était déjà présent sur "Even Lovers Get the Blues", le directeur de la photographie Olivier Boonjing apporte de beaux éclats visuels à "Lola Vers la Mer", à l’aide de sublimes tons rosés, allant des éclairs rencontrés en cours de route, au seau de peinture jeté par Lola sur la voiture de son père, jusqu’à la couleur de ses cheveux, ou encore aux néons d’un bar. Sans parler du générique, au travers duquel l’on reconnaît d’ores et déjà la patte du cinéaste.
À la fois rude et lumineux, "Lola Vers la Mer" offre un bel écrin à la minorité trans, dont il réussit à donner de la visibilité, sans pour autant s’acharner sur leur cas. Malgré un cadre duquel il faut réussir à se déconnecter, et un choix de sous-intrigue dramatique familiale (la perte d’une mère, d’une épouse) qui ne permet pas de porter jusqu’au bout des choses les idées de son cinéaste (bien qu’elle les aide), Laurent Micheli touche à l’intime, et aux difficultés relationnelles réalistes qui pourraient toucher ceux qui vivent de près avec la transidentité, et ce qu’elle soulève aujourd’hui encore de tabou.